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E. REHNISCH. — hermann lotze

rialisme. Selon les déclarations expresses de Lotze insérées dans le Bulletin scientifique de Göttingue (1836, p. 1977 et seq. ; 1857, p. 513 et seq. ; 1859, p. 73 et seq.), dans le temps où les deux premiers volumes du Microcosme furent publiés, cet ouvrage était l’exécution d’un projet ancien de notre philosophe, remontant probablement à une époque antérieure à celle où le matérialisme devint vers le milieu de notre siècle la question scientifique du jour, dans tous les cercles où l’on se livrait aux travaux intellectuels. Et, si nous nous rappelons en dehors de ces notices certains passages de l’Introduction relatifs au litige éternel entre la science inexorable et les aspirations sublimes du cœur humain vers un système du monde autrement et mieux organisé, ou traitant de la crainte que les progrès irrésistibles de la science ne fassent disparaître du monde toute poésie et toute animation, on devine facilement que la première pensée d’un ouvrage, telle qu’elle a été réalisée dans le Microcosme, a dû déjà exister chez l’étudiant de Leipzig, lorsqu’il fit de l’esthétique avec Weisze et que la physiologie de Weber ainsi que la physique de Fechner prirent dans son esprit des racines de plus en plus profondes. Ce sont les convictions nées des conflits soulevés en lui par ces études qui ont trouvé dans le Microcosme une expression si éloquente et si énergique pour le bien de notre siècle et à la gloire immortelle de l’auteur.

On ne peut pas en vouloir à un siècle qui a fait des progrès gigantesques dans la science et la méthode scientifique, s’il est fier de cette science. Et sans doute partout où la science a élucidé une question déterminée à un point de vue déterminé, ses décisions doivent être préférées aux opinions individuelles, extrascientifiques, qui existent sur cette question à ce point de vue. Mais en même temps il faut bien faire pénétrer dans les esprits cette pensée propre aux temps modernes que la science n’est pas quelque chose de complètement achevé, mais qu’elle est quelque chose qu’il faut en grande partie créer encore. Les commencements de la science sont ordinairement bien faibles, bien modestes. Ce ne sont pas toujours les parties les plus importantes qui sont les premières accessibles au travail scientifique, et, si un objet devient accessible à la science, l’étude de cet objet n’est presque jamais épuisée à tous les points de vue. Une grande partie de ce qui était déjà connu par l’expérience de la vie disparaît de l’horizon de la science naissante, parce qu’elle ne sait à quoi l’employer ; d’autres questions qui lui sont particulièrement accessibles prennent à ses yeux une importance majeure. Il s’agit en premier lieu de ne pas confondre avec la valeur de la connaissance d’un objet la valeur de l’objet lui-même, de ne pas attribuer à un objet une importance particulière, de ne pas traiter un