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ment à faire connaître historiquement et à fond telle ou telle question, mais il regardait simplement comme son devoir de conduire à une opinion juste et adéquate sur tel ou tel objet. Il est évident que la forme de son enseignement telle que nous venons de l’indiquer ne pouvait être à l’origine qu’un expédient préalable. Mais elle devint progressivement une habitude dans toutes les questions où il l’avait adoptée. En outre, la transformation de sa méthode aurait exigé plus de temps qu’il n’en avait à sa disposition, surtout s’il voulait se soumettre aux préjugés qui régnaient relativement à ses fonctions.

Voilà la cause principale de cette particularité, que l’on remarque dans certaines parties de sa philosophie ; pour amener son auditeur ou son lecteur à telle opinion ou conviction déterminée, il ne prend pas la voie directe pour faire naître en lui cette conviction, mais il lui expose d’abord la doctrine de Herbart ou de Hegel sur la question, appelle son attention sur les défauts de cette doctrine et cherche à montrer ainsi en quoi la doctrine juste et vraie doit se distinguer de celle qui vient d’être exposée. Il est impossible de nier, en prenant, par exemple, la partie ontologique de la métaphysique de Lotze, que ce mode d’enseignement et d’exposition doit offrir quelquefois au lecteur ou à l’auditeur des difficultés qu’on aurait pu lui épargner.

L’habitude de conserver tout simplement la division existante des matières philosophiques amena encore un autre résultat qui se manifeste précisément dans les exposés ontologiques. Les subdivisions et l’ordre suivi dans les questions philosophiques ne présentent pas l’exactitude ou l’innocuité que leur supposait Lotze, et il n’est pas aussi indifférent de s’en servir que le croit ce philosophe. Toute règle pour l’ordre à suivre dans les questions scientifiques implique une certaine manière de les traiter. Se servir de cette disposition, c’est reconnaître la justesse de l’enseignement traditionnel. Cela équivaut à dire qu’il n’y a rien à reprendre à l’esquisse traditionnelle de l’édifice, qu’il s’agit simplement de construire d’après ce plan pour obtenir ce dont on a besoin. Mais, en vérité, la répartition habituelle des matières philosophiques, la manière ordinaire de les disposer, ne présentent pas cette perfection ; cette disposition est le résultat des manières de voir qui ont amené la confusion, les doutes et les contradictions d’où la philosophie est chargée de nous tirer. On peut deviner à quelles conséquences on arrive quand un esprit, qui se trouve incontestablement davantage sur les traces de la vérité, expose ses vues d’après un plan de cette espèce ; la matière et la forme ne s’accordent pas toujours ; au contraire, tantôt la première l’emporte sur la seconde, tantôt c’est l’inverse. Dans le premier cas, nous sommes surpris de trouver que la manière de voir à laquelle toute