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Hermann Lotze, ainsi que d’avoir eu pour élève celui qui vingt ans plus tard traduisit en latin l’Antigone de Sophocle d’une manière élégante et magistrale, et cela uniquement pour se reposer des fatigues d’un travail intellectuel trop absorbant[1].

Au mois d’avril 1834, Lotze, âgé seulement de dix-sept ans, se rendit à l’université de Leipzig avec un goût très prononcé pour la poésie et les arts, et en même temps avec la pensée de devenir médecin comme son père. Il prit ses inscriptions comme étudiant en médecine et passa aux époques déterminées les examens prescrits pour les médecins dans le royaume de Saxe. Déjà, dans le registre du gymnase de Zittau, on peut lire (Pâques 1834), à propos de Lotze : « Il étudie la philosophie et les sciences physiques ; » cette note avait été faite probablement d’après les indications données selon l’usage par l’élève lui-même au moment de son départ. C’est là précisément une particularité chez Lotze dont les conséquences ont été si fécondes pour ses travaux philosophiques : il s’est occupé de philosophie dès sa jeunesse ; il n’a pas été un de ces hommes de science qui, après avoir déjà des opinions toutes faites, se livrent accidentellement à la philosophie et travaillent à la solution de quelque problème. Mais d’autre part il n’a pas attendu non plus pour étudier les sciences physiques l’époque où ses convictions philosophiques eussent déjà été marquées d’une empreinte définitive. Il n’a pas simplement appris à connaître les résultats des recherches scientifiques quand déjà il avait des opinions toutes faites sur les principales questions de la philosophie, et quand ses travaux lui ont fait regretter en une certaine occasion de ne pas avoir étudié les sciences physiques ; l’expérience démontre que des connaissances scientifiques acquises dans de pareilles circonstances restent toujours, si étendues qu’elles soient, pour ainsi dire exotériques. Il a étudié les sciences naturelles pour se faire une carrière, et à l’âge normal et habituel ; de cette façon, il a reçu l’instruction scientifique réellement nécessaire au philosophe ; il n’avait pas seulement une connaissance vague des résultats acquis par les sciences physiques, mais il avait le sentiment direct du processus vital ; il savait par ses propres études et travaux la manière dont on procède dans les recherches scientifiques.

Celui qui se représente Lotze tel qu’il apparut plus tard dans le monde scientifique de 1850 à 1870 est surpris en entendant dire pour la première fois qu’il ne fut pas précisément poussé vers les études philosophiques par les tendances réalistes représentées à

  1. Antigona Sophoclis fabula latinis numeris reddidit Herm. Lotze, Göttingen, 1857.