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Le troisième ordre d’atomes, de dimensions à leur tour négligeables par rapport aux seconds, est glissé dans les interstices du jeu très faible qu’offrent ces derniers ; il constitue un second éther, dit calorifique, parce qu’il sert en particulier à expliquer les phénomènes de chaleur.

S’il n’y avait point d’atomes pondérables, l’éther gravifique serait homogène et isotrope ; la présence des atomes plus grands y entraîne mécaniquement, comme résultat de leurs chocs contre ceux des éthers, la constitution, autour de chaque atome de matière pondérable, d’une atmosphère raréfiée d’atomes gravifiques et calorifiques. Cette atmosphère se limite à une certaine distance par une surface plutôt polyédrique que courbe, et que M. Tissot appelle le polyèdre de désorganisation. L’existence de cette atmosphère joue le plus grand rôle dans l’explication des phénomènes particuliers.

En fait, la distinction. des deux sortes d’éther est l’idée vraiment neuve du livre, et, dans les applications qu’il en fait aux théories physiques, détail où nous ne le suivrons pas, l’auteur en a tiré un excellent parti. Il indique d’ailleurs comme à faire un certain nombre d’expériences dont le résultat peut confirmer ou infirmer ses thèses. À ce titre, son travail mérite la sérieuse attention des physiciens de métier, qui peuvent y trouver d’intéressants sujets de recherches nouvelles.

Je crois au reste, avec M. Tissot, que la distinction habituelle des atomes en deux ordres de grandeur seulement, matière pondérable et éther, est insuffisante pour l’explication des phénomènes, Aussi les physiciens ont-ils été amenés à soutenir sur la constitution de l’éther. des théories contradictoires, entre lesquelles on choisit trop souvent d’après les besoins de la cause. La thèse nouvelle me paraît donc digne d’être mise à l’épreuve d’une étude sérieuse. Mais la confirmation qu’elle peut ainsi recevoir éventuellement ne sera point pour elle une consécration définitive ; il restera toujours à savoir si la distinction en trois ordres est elle-même suffisante, s’il ne faudra pas plus tard aller plus loin, pour la plus complète explication des phénomènes biologiques par exemple, enfin et surtout si des distinctions de cette sorte ont une valeur objective et non pas seulement subjective, si en fait nous ne pouvons pas considérer la matière comme constituée de groupements offrant des degrés de stabilité relatifs et dont la grandeur descend une échelle indéfinie, soit respectivement des uns par rapport aux autres, soit, dans le sein même de chacun d’entre eux, pour les groupements inférieurs qui le constituent. Cette échelle devrait d’ailleurs être supposée partir des groupements que nous pouvons observer directement et pour lesquels la stabilité est la plus faible[1] :

  1. Qu’en descendant cette échelle, plus ou moins continue, il faille nécessairement s’arrêter à un minimum absolu, c’est, à mon sens, une illusion : de l’imagination. Logiquement, les mathématiques n’ont réussi qu’en appliquant à infini, comme disait Pascal, les raisons du fini. Or elles sont désormais pour les sciences de la nature des auxiliaires trop indispensables pour ne pas imposer les conséquences de la même méthode.