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ANALYSES. — TISSOT. Philosophie naturelle.

tence ; ses idées sont neuves, hardies et ingénieuses. Somme toute, il me paraît avoir satisfait aux conditions du difficile problème qu’il s’est posé. Malheureusement, son livre, au point de vue de la composition, présente certains défauts qui peuvent nuire au succès de ses opinions.

Depuis le jour où il a commencé l’exécution de son projet, il a été naturellement conduit à modifier à plusieurs reprises ses hypothèses, et, par suite aussi, ses conclusions. Il aurait donc convenu, en bonne logique, qu’une fois son volume écrit, il le refondit complètement et nous présentât son œuvre sous la forme du développement didactique d’un système parfait de tous points dans la pensée, avant de se formuler sur le papier, M. Tissot a préféré nous faire assister à l’évolution de ses idées ; nous ne le voyons apporter à ses hypothèses les changements nécessaires qu’au fur et à mesure des besoins que révèle la poursuite de l’explication des phénomènes. On doit donc chaque fois se demander ce qui reste valable dans les déductions antérieures, et trop souvent, de guerre lasse, on est forcé d’en croire l’auteur sur sa parole. L’œuvre, en fin de compte, laisse l’impression d’avoir été écrite à la hâte, par morceaux détachés, avec une sorte de fièvre ; c’est moins un essai qu’une suite d’essais différents dont nous sommes tenus au courant, et ce n’est qu’à la fin que nous pouvons réellement constater, comme résultat d’ensemble, un système suffisamment précis et coordonné.

Nous allons essayer de retracer les principales lignes de ce système. Le point de départ est identique à celui de Secchi ; il n’y a point de forces dans la nature ; il n’y a que de la matière en mouvement et des communications de mouvement par contact.

Je suis d’accord avec l’auteur pour reconnaître dans cette thèse la conséquence logique du principe de la conservation des forces vives. Du moment au moins que l’on admet, avec la vérité de ce principe, la réalité objective de la matière, la force ne peut plus être conservée que comme une notion subjective. En particulier, l’hypothèse, assez en faveur aujourd’hui, de l’atome sans dimensions, centre de forces agissant à distance, apparaît comme une pure fiction, peut-être commode au point de vue mathématique, mais sans valeur en tant qu’explication des faits. Il faut bien admettre en effet qu’il y a une certaine distance en deçà de laquelle deux de ces atomes-points ne peuvent se rapprocher ; on a donc simplement, et sans aucun avantage, substitué comme impénétrable une sphère idéale à la sphère matérielle, une fantaisie de l’imagination à la réalité tangible. Si obscure que soit celle-ci, on ne l’a éclairée en aucune façon.

La possibilité d’une explication mécanique de la nature a d’ailleurs des bornes devant lesquelles il faut savoir s’arrêter. Ce qu’il s’agit de faire, c’est de ramener tous les phénomènes à un seul fait-type qui nous soit suffisamment familier, mais qui, au fond et en soi, nous restera dès lors entièrement obscur, sauf en ce qui concerne les lois mathématiques auxquelles on parviendra à le soumettre plus ou moins