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1787, la Critique de la raison pratique était prête pour l’impression.

Reste une dernière partie, très importante, de la doctrine des choses en soi, la plus profondément modifiée de toutes : la théorie du moi.

La première édition, par l’entière coordination du temps et de l’espace, étendait au sens interne l’idéalité reconnue des sens externes : Kant y assimilait complètement les deux sortes de sens. Avec l’édition nouvelle (voy. Esthét., Remarq. génér., § II, Déduction transcendantale, §§ 24-25, Paralogismes de la raison), la théorie de Kant sur la manière dont la sensibilité est affectée par l’entendement est développée et éclaircie. Sur ce point particulier, c’est encore la doctrine primitive, mais précisée. Ce qui semble tout nouveau, c’est que l’intuition intellectuelle se trouve transportée au sens interne ; mais la première édition ne faisait-elle pas déjà de l’intuition intellectuelle l’organe du noumène positif ? et d’ailleurs ce n’est toujours qu’un concept limitatif. Pourtant, nous assistons ici à un effet en retour de la théorie transformée de la chose en soi : le rapport de l’aperception au moi transcendantal est entièrement changé, et Kant s’éloigne autant que possible de lui-même. « Comme intelligence et sujet pensant, dit-il, je me connais moi-même comme objet pensé en tant que je suis donné à moi-même dans l’intuition non pas seulement de la même manière que les autres phénomènes, tel que je suis devant l’entendement, mais comme je m’apparais à moi-même. » Que faut-il entendre par ce moi « comme intelligence et sujet pensant » ?

La nouvelle position du moi vis-à-vis des catégories n’est point, comme on l’a cru longtemps, sans importance ; au contraire, les conséquences que Kant tire de là font éclater le contraste entre la première et la seconde manière de voir. D’après la première édition, le moi logique devait être pensé comme existant, et cependant, vu l’enchainement parfait du système, ni la catégorie pure ni l’empirique n’étai applicable à cette existence : la catégorie pure était en propre contradiction avec le sens d’existence, l’autre avec le sens de moi logique. Ici (deuxième édition), la contradiction est transformée. Le moi intellectuel, grâce à sa nouvelle position vis-à-vis des catégories, est défini « l’être qui en fait existe comme un réel pour la pensée en général ». La catégorie de l’existence ne cesse pas d’être coordonnée aux autres ; mais par cela que, comme fonction purement logique, elle vit poser existence de l’être, elle est en fait totalement hors de, un avec les autres. Par les autres catégories comme fonctions purement logiques, le moi ne saurait être pensé d’une façon déterminée : au point de vue de l’existence, le moi est inséparable de cette affirmation que le moi en fait existe. Le contraste entre cette catégorie de l’existence et les autres, négligé dans la première édition, est ici expressément reconnu et mis en évidence. L’existence du moi est devenue en effet pour Kant un problème au même titre et dans le même sens que l’existence des choses. Aussi le voit-on dès 1786 préparer les voies à cette transfor-