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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

tionnelle ; d’autres, à savoir l’esthétique, le chapitre sur les phénomènes et les noumènes, n’ont été que retouchés. Çà et là, des additions considérables, en particulier les additions aux démonstrations des principes. Ulrich, en désaccord avec Kant sur la possibilité de connaître les noumènes, avait mis en doute que les principes de l’entendement pur n’eussent qu’un usage exclusivement immanent. Ce retour à Leibniz était la ruine de la Critique. Ce qui est caractéristique dans ces additions dirigées contre Ulrich, c’est la tournure de l’argumentation. Kant ne combat pas directement la possibilité d’un usage transcendant des principes ; il concentre toute sa démonstration sur ce point que les phénomènes, comme objets empiriques, ne sont possibles que par la subsomption de ce qu’il y a en eux de divers sous les catégories. Point de réfutation directe du doute d’Ulrich : rien qu’un éclaircissement sur le rapport immanent des principes aux phénomènes. L’impossibilité d’un usage transcendant de ces principes, — simple conséquence médiate. On devait s’y attendre : même après les plus vives polémiques Kant ne doute pas un seul instant de la kritische Grenzbestimmung.

Sans parler des explications sur la table des catégories, sur la division des jugements qui lui parait indiscutable, notons un point sur lequel Kant projette une lumière nouvelle : le concept de l’à priori. La clarté cartésienne des idées à priori est définitivement écartée : le double critère, le vrai, c’est la nécessité et l’universalité des jugements ou des concepts, où l’indépendance absolue à l’égard de l’expérience. — Dans le chapitre sur les paralogismes de la raison pure, on est étonné de rencontrer une longue réfutation de Mendelssohn sur la question de la permanence de l’âme. Cela semble un hors-d’œuvre : le Phédon de Mendelssohn (1764) avait alors plus de vingt ans de date, et d’ailleurs Mendelssohn dans sa polémique contre Jacobi et Kant n’avait soufflé mot de la critique de toute psychologie rationnelle. Pourquoi cette addition ? Pure tactique. Le Phédon avait créé la fortune philosophique et littéraire de Mendelssohn : en saper les bases, c’était du même coup abattre toute la philosophie dogmatique de l’époque.

Mais cette seconde édition, ce qui est plus grave, contient des remaniements, des interpolations où la pensée primitive est altérée. Ge sont ces modifications qu’il nous faut maintenant examiner.

La détermination des limites du savoir possible demeure le but avoué, l’objet capital de la Critique : il s’agit de déposséder la raison spéculative, de ruiner le dogmatisme pour jamais, de transformer le scepticisme partiel et empirique de Hume en une philosophie critique (préf. de la deuxième éd.). Mais une légère addition, insignifiante en apparence, nous avertit que le scepticisme de Kant à l’endroit du dogmatisme est devenu moins touchant, moins irréconciliable : il excuse maintenant, ou veut faire excuser au moins une de ses formes, le dogmatisme moral. D’un bout à l’autre de la première édition, Kant déclarait que sa recherche n’avait qu’une utilité « purement négative ». Ici, dans l’intro-