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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

peut demeurer. » Ailleurs, Jacobi ayant osé dire qu’il n’y a point de preuve rationnelle de l’existence de Dieu, Mendelssohn scandalisé murmura le mot d’athéisme : Jacobi le renvoie à la Critique. Ainsi, sons les coups de ces brillants lutteurs, l’Allemagne étonnée et curieuse retentissait du nom et des doctrines du philosophe de Kœnigsberg.

Pourtant, au total, c’est la critique superficielle du Journal de Gœttingue qui reste maitresse de l’opinion. On continue de ne point saisir le sens criticiste de la déduction, et ceux-là seuls qui, comme Ulrich, s’en occupent, comme lui la déclarent contradictoire. Pareillement, c’est dans le sens idéaliste plutôt que critique que l’on interprète l’esthétique, et de même les explications de Kant sur le noumène et l’objet transcendantal, C’est à peine enfin si l’on s’arrête aux doctrines morales el aux conséquences religieuses de la pensée nouvelle.

L’effet de ces diverses critiques sur Kant est un spectacle intéressant, Kant, dès avril 1786, songe à une révision de son ouvrage, et sans la mort de Frédéric le Grand, qui donna du tracas aux recteurs (il l’était), c’eût été l’affaire de six mois ; elle se trouva retardée par le fait jusqu’en avril 1787, Du reste qu’on ne s’imagine pas Kant troublé par les objections du dehors, empressé d’y déférer, et conséquemment tourmenté du désir de refaire sa Critique. Une idée des plus naïves montre combien était inébranlable même au milieu des plus vives attaques la foi de Kant dans la solidité de son œuvre : il avait demandé dans ses Prolégomènes et il rêvait toujours un examen officiel et à fond de la Critique, fait par des hommes compétents avec les Prolégomènes pour guide,

C’est évidemment pour donner satisfaction à ce désir opiniâtre que Schutz, le confident de Kant, écrit sous le titre « Quelques avis sur l’examen détaillé de la Critique de la raison pure » la seconde partie de ses Erläuterungen. Les points capitaux de la réforme kantienne, selon le disciple peut-être directement inspiré ici par le maître, sont : 1o la détermination de la vraie nature de la sensibilité : en quoi elle diffère de l’entendement ; 2o la recherche des concepts premiers, et leur table complète : comment ils sont par origine supérieurs à l’expérience, c’est-à-dire de purs produits de l’entendement ; 3o leur portée objective ; 4o la fixation des vraies limites de la raison : où commencent la croyance et l’espérance ; 5o d’où vient la tendance de notre raison à dépasser le domaine du savoir possible. — On ne saurait affirmer avec plus de vigueur que le centre de gravité du système, c’est bien la Grenzbestimmung, où détermination critique des limites de la connaissance. Comparez à ces indications le langage même de Kant sur la marche à suivre dans l’examen en question (lettre de Kant à Mendelssohn, 18 août 1783) : tout s’y rapporte encore à l’idée critique exprimée avec une précision remarquable.

Il est facile de deviner d’après ces documents et un pareil dessein ce que fut l’influence des adversaires de la philosophie nouvelle sur Kant. Elle n’eut d’autre effet que de l’enfoncer davantage dans ses