Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
revue philosophique

de Mendelssohn, ou des preuves spéculatives de l’existence de Dieu ; les arguments contre Mendelssohn sont tirés de la Critique. La chose en soi, dit-il, est une pure forme de pensée qui permet de réduire à la conscience d’un objet le multiple des phénomènes.

C’était le temps où le cri de Lessing : Ἕν καὶ πᾶν ! ébranlait tous les échos de l’Allemagne littéraire et philosophique. Jacobi venait de révéler l’entretien confidentiel dans lequel Lessing lui avait dit : « Il n’y a pas d’autre philosophie possible que celle de Spinoza. » De là une polémique passionnée sur le spinozisme entre Jacobi et Mendelssohn. Ce dernier, pour disculper la mémoire de son ami, publiait en 1785 ses Matinées ou Entretiens sur l’existence de Dieu. Par occasion, il y parlait de Kant, s’excusant de ne le connaître que par les conversations de ses amis et les comptes rendus des journaux. Le préface des Morgenstunden s’attaquait à cet idéalisme (celui de Kant d’après les éclectiques) qui ne reconnaît pas hors de nous un original de nos perceptions existant en soi : une de ces monstruosités auxquelles nul ne croit et qui servent à rabattre l’orgueil de la raison. Voici la réfutation de cet idéalisme, d’après l’ouvrage cité. Il y a deux sortes de substances. Les apparences que prennent pour nous les choses ne résultent pas d’une impuissance native de notre esprit : la preuve, c’est l’accord qu’il y a entre les représentations de tout être humain et celles de ses semblables, ou même celles des animaux. Donc il y a une concordance entre les choses et nous : en elles, il y a quelque chose qui correspond à ce que nous nommons résistance, étendue, mouvement, figure, etc. La distinction kantienne de l’objet-phénomène et de l’objet en soi est pure affaire de mots. « Etre A ou être pensé comme A est identique. » Au fond, Mendelssohn se rapproche grandement de la notion kantienne de la chose en soi. L’être en soi, dit-il, dépasse notre connaissance, et toute connaissance en général : c’est un x qui se manifeste par ses effets. Aussi Mendelssohn parle-t-il çà et là de Kant avec éloge : « Il saura relever sans doute, comme il a su détruire. » — Le langage de Jacobi dans ses Lettres à Mendelssohn sur la doctrine de Spinoza n’atteste pas moins l’influence considérable exercée sur cet autre grand esprit par le criticisme naissant. En divers endroits Jacobi emprunte ses vues à la Critique pour expliquer Spinoza : en particulier lorsque, voulant faire comprendre la conception spinoziste de la pensée absolue, il la compare à l’aperception transcendantale et au rôle qu’elle joue dans la connaissance, Il déclare du reste qu’en toute recherche il y a un point de départ indémontrable : c’est une « révélation de la nature », une « croyance » si l’on veut, qui nous fait connaître notre corps, et par ses impressions les autres corps. Il y a une certitude immédiate qui n’a besoin d’aucune preuve et même exclut la preuve, et qui résulte purement et simplement de l’accord de la représentation avec la chose représentée, Jacobi n’est donc point kantien, c’est-à-dire idéaliste. Il ne fait que traverser Kant, pour le dépasser, « Sans la foi aux choses en soi, écrit-il, on ne peut pénétrer dans son système ; avec elle, on n’y