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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

plus larges. Le premier exprime des doutes sur la liberté intelligible, sur la phénoménalité des perceptions du sens intime, — car alors à qui, en qui apparaissent les phénomènes du dehors ? Le second essaye de réduire les jugements synthétiques de Kant à des jugements analytiques tirés de l’expérience. Ulrich, dans ses Institutiones logicæ et melaphysicæ (1785), voudrait réconcilier la théorie des noumènes de Leibniz avec le phénoménisme de Kant. C’est principalement sur le principe de causalité qu’il insiste, essayant de le rétablir au sens nouménal et de tirer de Kant même la preuve de l’existence des noumènes. Car il faut bien, dit-il, qu’aux effets et à leur enchainement corresponde dans les choses en soi et dans leur enchainement quelque chose d’analogue. Il faut bien aussi, d’autre part, que l’aperception soit le nou-mène ; si en effet elle n’est encore qu’un phénomène, nous voilà lancés dans une série régressive infinie d’aperceptions.

Quelque temps après, l’Allgemeine Lileraturzeitung (13 dec. 1785) publiait un compte rendu de l’ouvrage d’Ulrich : l’auteur demeuré anonyme de cet article, esprit délié, y critiquait en passant la déduction kantienne, Kant, disait-il, fonde sur les catégories la possibilité de l’expérience, et de là conclut à leur réalité objective. Mais dans que] sens prend-il ce mot d’expérience ? S’agit-il des jugements de perception (Wahrnehmungsurtheile) ? Alors c’est prétendre que tout jugement empirique en enferme un synthétique à priori : ce qui enlève aux premiers leur caractère accidentel. S’agit-il des jugements d’expérience (Erfahrungsurtheile) ? Alors Kant dit simplement que, sans un rapport nécessaire entre les catégories et les phénomènes, on ne peut former des jugements d’expérience à priori, universels et objectifs. Mais pourquoi le pourrait-on ? Hume le nie, et Kant en est encore à le démontrer,

Passons aux disciples. Le premier est Schultz, professeur de mathématiques à Königsberg. Ses Erläuterungen über Kants Kritik der reinen Vernunft (1784) n’éclaircissent rien, et c’est sans doute la faiblesse de l’âge qui fait dire à Kant treize ans plus tard que seul Schultz l’avait compris comme il voulait l’être. L’adhésion de Schütz, rédacteur de l’Allgemeine Lileraturzeitung, récemment fondée, était de plus d’importance : elle donnait à l’école naissante un organe littéraire. Dès les premiers numéros, Schütz promet de montrer en Kant le réformateur de la philosophie ; en juillet 1785, il donne un compte rendu intelligent de la Critique. Il s’y plaint du style de l’auteur, de l’absence de paragraphes, du peu de clarté de la « synthèse reproductive » dans la déduction : il s’élève contre le caractère à priori des constructions mathématiques, celles-ci impliquant l’idée de mouvement : toutes remarques auxquelles la 2e édition fera droit ou répondra. Dans le Mercure allemand, un autre disciple dont on à exagéré l’influence. Reinhold, applique la philosophie de Kant aux problèmes religieux et moraux. L’Abrégé de la Critique de la raison pure, suivi d’un Vocabulaire kantien, composé par Schmidt, en deux ans obtient deux éditions. Signalons encore l’idéaliste Jacob et son Examen des Matinées