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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

peu satisfaits. Jacobi y relevait des contradictions sans excuse ; Tetens trouvait que c’étaient les idées du temps, les siennes surtout ; Mendelssohn jugeait que ce scepticisme outrageait le bon sens. Les disciples d’auparavant, eux-mêmes, s’attendaient à autre chose. Herder en était encore aux idées de Kant passant du dogmatisme à l’empirisme ; Marcus Herz essayait, malgré le contraste, d’interpréter l’œuvre nouvelle d’après la thèse inaugurale de 1770 (De mundi sensibilis atque intelligibilis forma). Hamann, qui avait lu le livre en épreuves, en avait composé avant la publication une recension (publiée après sa mort) et s’était même entretenu sur ces matières avec Kant, trouvait la critique de la métaphysique dogmatique digne de Hume, la théologie transcendantale trop mystique, l’ensemble peu religieux. Les hommes ne sont jamais si difficiles à persuader, dit très bien B. Erdmann, que sur les questions où l’expérience ne leur a pas donné des leçons de septicisme, principalement en métaphysique et en religion, D’autre part, Kant n’avait rien fait pour se conquérir un public : ne déclarait-il pas dans sa préface qu’il ne voulait rien devoir aux ornements populaires ? N’oublions pas non plus que cet ouvrage, fruit de douze années de méditations, fat, selon l’expression même de Kant, écrit tout d’une volée (gleichsam in einem Fluge) en quatre ou cinq mois, de mai à septembre 1780. Les matériaux, comme l’indique B. Erdmann (p. 83, note 3), avaient été amassés lentement, de côté et d’autre. L’esthétique et l’analytique, qui étaient seules dans le plan de 1778, portent la trace du premier travail. La déduction, les introductions à l’analytique, à la dialectique sont sans doute improvisées. La théorie des antinomies et la critique de la théologie transcendante sont tirées de matériaux préparés d’avance, Pour la méthodologie, une des parties les plus claires de l’œuvre, elle doit avoir été écrite à part. Enfin, dans l’amphibolie des concepts de réflexion, on sent le travail de la dernière heure. Kant vieillissait ; il craignit que, s’il attendait plus longtemps, tout ne fût perdu : c’est ce qui le poussa à cette rédaction hâtive. Disons aussi que douze années de méditations l’avaient déshabitué d’écrire et de se rendre clair pour les autres.

De la première impression Kant n’espérait qu’un succès médiocre ; son attente fat dépassée. Voyant tout le monde, même Hamann, déclarer son livre obscur et quasi inintelligible, mécontent lui-même de sa déduction subjective, qui, au lieu d’avoir l’air d’une hypothèse, aurait dû présenter un caractère transcendantal, il songea dès le mois d’août 1781 à donner un résumé populaire de ses idées. Il y travaillait encore lorsque parut, le 19 janvier 1782, dans lesGöttinger gelehrte Anzeigen, un article de Garve sur la Critique : Feder, l’un des rédacteurs du Journal de Göttinge, l’avait réduit au cinquième, en y rajustant des morceaux de sa façon sur la table des catégories, sur les rapports de Kant à Leibniz, Berkeley et Hume. Fait curieux, qui démontre bien l’impuissance où l’on était de comprendre Kant, on n’y soufflait mot de la déduction. Le côté critique échappe à Garve et à Feder, également : on