Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
revue philosophique

cation de la Phoenomenologie des sittlichen Bewusstseins, son jugement paraîtra inexact à ceux qui connaissent déjà cette œuvre ; il juge le pessimisme sévèrement, mais il lui reconnaît aussi des mérites, entre autres celui d’avoir dévoilé la somme épouvantable des souffrances humaines et démontré la prépondérance du mal et du mensonge.

Le chapitre suivant nous entretient de la Philosophie der Wirklichkeil de Dühring, si difficile à résumer à cause de la profusion de détails qu’il introduit dans son système, et surtout à cause de son jargon tout particulier. Souvent, au lieu de discuter sérieusement, il se lance dans un tourbillon dialectique et nous donne le spectacle de véritables Begriff’s Pirueiten, comme le dit le Dr. Vaihinger. Dühring, ajoute Miloslawski, a surnommé sa philosophie celle de la réalité, parce qu’il prend le monde tel qu’il est et ne va pas au delà, ne se souciant guère de l’être en soi ou de l’absolu. Il exige de la philosophie la connaissance des sciences positives et tient à concilier la sienne avec la voie pratique et les questions sociales, ce qui le rapproche de Comte, dont il diffère néanmoins, en ce qu’il n’est pas un simple classificateur des sciences, mais un véritable philosophe, possédant une confiance entière dans l’intelligence humaine et ne lui prescrivant aucune borne ; il considère au contraire toute limitation absolue de notre savoir comme « une trahison d’État dans le domaine de la science ». Dühring suppose un parallélisme entre la pensée et l’être ; il nomme cependant la première : forme mécanique du mouvement ; Milosiawski a donc raison de le classer parmi les matérialistes, quoiqu’il ait déclaré plus d’une fois que la pensée ne se laisse pas réduire à des processus physiologiques. Bref, la philosophie de la réalité échoue là où ont échoué déjà tant de systèmes, contre l’écueil du rapport de l’Ame avec le corps. Dans la philosophie sociale, Dühring est un démocrate socialiste, un optimiste qui dédaigne le pessimisme, tout en se vantant des nombreux déboires que lui font endurer son infirmité et la malveillance envieuse des hommes.

La caractéristique de Dühring achève celle des « types modernes » ; le chapitre XI est intitulée : « Philosophie et science ». Sous bien des rapports, ce n’est que la paraphrase du chapitre Je, ce qui prouve le manque de disposition artistique dans ce travail.

Le chapitre XII nous dévoile les fautes essentielles de toute métaphysique, et contient des observations d’une justesse et d’une profondeur peu communes. Il démontre entre autres les diverses imperfections de la théorie des trois stades de développement intellectuel posée par Comte ; il conseille à la science de se servir de la méthode déductive ; il montre combien la philosophie d’autrefois était étroitement liée avec les sciences et comment ces dernières s’égaraient tout aussi souvent que la spéculation elle-même ; il reconnaît enfin que la philosophie à une valeur intrinsèque, indépendante de sa méthode, qui peut être bonne ou mauvaise. Il compare ceux qui refusent à la philosophie un caractère scientifique aux dix chevaliers de la fable, dont chacun ne voyait que neuf chevaux, parce