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ANALYSES. — MILOSLAWSKY. Tipy filosofskoi mysli.

acquises à l’aide de l’expérience et des sensations. Comment concilier cette dernière phrase avec la première, où il est question d’un abîme entre l’entendement et la pensée ?… Nous nous permettons toutefois d’observer que cette contradiction existe seulement dans la caractéristique de notre auteur et non dans le réalisme, dont nous ne voulons pas d’ailleurs défendre la cause. Ce système renferme en effet des incertitudes et même des théories contraires aux résultats du savoir moderne ; la manière d’envisager la perception comme processus élémentaire de l’âme, posée par Herbart, a été démentie par les données récentes de la physiologie des sens et de la psycho-physique. Miloslawski aurait dû cependant tenir compte des efforts opérés par l’école de Herbart pour concilier sa théorie avec la physiologie actuelle des sens.

Le chapitre VIII est consacré à la critique du réalisme absolu, représenté par le système de Drossbach ; l’attitude de ce penseur diffère en effet complètement de celle des penseurs précédents. Il soutient que les sens nous font connaître les essences mêmes des choses ou forces actives du monde extérieur ; quant aux phénomènes, ce sont de simples états de notre cerveau provenant de l’influence de ces forces ; et la faculté elle-même qui perçoit l’activité de ces forces extérieures est aussi une force et non pas un phénomène. Les premières sont la cause objective, la seconde la raison subjective de l’entendement. Miloslawski reproche à Drossbach après avoir introduit une distinction entre l’image produite par la force ou essence d’une chose et la conception de l’objet en tant que phénomène, d’oublier que la force est aussi une conception subjective, une idée purement abstraite, et qu’il confond cette dernière avec l’objet de l’impression immédiate des sens. Nous convenons, avec Miloslawski, que Drossbach tombe dans un idéalisme outré ressemblant à celui de Hegel plus qu’on ne le croit ; cela provient de ce qu’il considère le monde des phénomènes comme pure illusion, tandis qu’il accorde aux idées abstraites des forces une existence objective. Les dernières pages de cette étude, contiennent l’exposé des théories de Drossbach sur la nature ; selon lui, tous les objets de la création, sans en accepter les pierres, sont susceptibles d’impressions ; seulement, ce procès intérieur s’opère à leur insu. Ces audaces philosophiques témoignent d’un essor impétueux et d’une tendance originale de la pensée ; mais elles nous rappellent trop vivement une époque où la spéculation convoitait à tout prix la vérité absolue. Toutes ces directions citées et reproduites par notre auteur constituent, selon lui, la philosophie officielle ou Kathederphilosophie.

Elle n’exclut pas cependant l’existence d’une philosophie indépendante et puissante, telle que le pessimisme ou philosophie de l’Inconscient, à laquelle est consacrée l’étude IX du livre. Nous ne rappellerons pas des choses parfaitement connues ; nous dirons seulement que ce chapitre prouve une fois de plus l’impartialité de Miloslawski et sa connaissance profonde de la philosophie allemande ; nous observerons cependant que Miloslawski ayant écrit son livre avant la publi-