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fait le point essentiel et capital de sa théorie. Encore est-il qu’en dehors de sa dialectique, la nature d’un objet, surtout d’une idée, n’est réellement connue que quand cet objet et cette idée sont mis en rapport avec les autres idées. C’est ainsi qu’ils s’expliquent, et quelquefois c’est la seule explication qu’on puisse en donner. Le service rendu par cette école, à ce point de vue, est incontestable. Bon gré mal gré, grâce à elle, on ne pourra plus s’occuper du comique qu’en déterminant aussi son rapport avec les autres formes dont peut-être il dérive, mais en tout cas qui servent à l’expliquer et à résoudre tous les problèmes dont il est l’objet ou qui à propos de lui se soulèvent.

3o Les formes du ridicule et du comique sont une partie plus abordable, très intéressante et presque inépuisable du sujet. Les littérateurs et les moralistes l’ont souvent décrite et traitée avec succès. Mais il restait à le faire d’une façon rigoureuse et scientifique. Il fallait aussi au travail de description ou d’analyse joindre celui de la systématisation ou de la coordination, de la synthèse. Cette tâche revient de droit à la philosophie et à l’esthétique. Si en réalité celle-ci est une science, comment l’a-t-elle accomplie ? Y a-t-il eu aussi quelque progrès dans les travaux des diverses écoles philosophiques où la science du beau a été sérieusement cultivée ?

Pour le prouver, il aurait fallu plus de détails que nous n’avons pu nous en permettre. Mais quiconque connaît un peu les travaux de l’esthétique allemande exécutés depuis le moment où nous l’avons prise et en a suivi tout le cours ne peut méconnaître le nombre, la valeur et l’importance des acquisitions successives qui ont été faites en ce genre. L’abondance ou la richesse serait plutôt ici une objection, à cause de la divergence dans la manière dont tous ces faits analysés et décrits sont classés et théorisés. Il est certain que toutes ces trichotomies hégéliennes, par exemple, ne résistent guère à la critique ; mais il ne reste pas moins vrai que les faits sont décrits avec une rare et profonde sagacité. La gradation des formes elle-même, dans sa généralité, est très bien marquée ; les formes supérieures, celle de l’humour en particulier et des variétés de l’humour sont définies avec une vérité frappante ; les traits essentiels y sont parfaitement saisis. Il serait difficile de nier tous ces mérites ou de les méconnaître. Cela, il nous semble, suffit pour attester que, de ce côté encore, la science a marché, qu’elle n’est pas restée stationnaire. Quelle est la science la plus positive dont les classifications ne puissent être ébranlées, surtout quand il s’agit des divisions inférieures ? Nous ne voyons pas trop ce que la science du beau, en ce qui touche à notre sujet, aurait beaucoup à envier à bien d’autres sciences dont les