Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
revue philosophique

avec le rire ; l’humour est l’inverse. » Mais tout cela n’ajoute rien à la théorie.

Sur la comédie opposée à la tragédie, les idées de Schopenhauer ont un intérêt particulier en ce que tout son système doit se refléter ici dans son esthétique. Il va sans dire que, dans ce système, la tragédie doit être très supérieure à la comédie. Le rôle de celle-ci est secondaire et inférieur. La tragédie occupe le sommet de la poésie par la grandeur comme par la difficulté de ses œuvres. « C’est un préjugé de croire qu’il est plus facile de faire une bonne tragédie qu’une bonne comédie. Le but de la tragédie est d’exciter à la résignation par la représentation des côtés terribles de la vie. Le fond est l’aversion de la volonté à la vie. Dans la tragédie, nous est offert le spectacle d’une douleur ineffable causée par les infortunes de l’humanité, par la domination ironique du sort, la chute inévitable de la justice et de l’innocence. Là est un clair regard jeté sur la constitution de l’existence et l’invitation à s’en détourner. C’est le conflit de la volonté avec elle-même. La représentation d’un grand malheur est l’essence de la tragédie. » (Ibid.)

« La comédie, en opposition avec elle, est aussi une représentation de la vie humaine, de ses misères et de ses contradictions ; mais elle nous les montre comme passagères, se résolvant dans la joie ; la vie y est mêlée de succès, de victoires et d’espérances, qui finalement l’emportent. Là se produit une matière inépuisable pour le rire ; la vie elle-même et ses adversités en sont remplies. La comédie, en somme, affirme, en opposition avec la tragédie, que la vie dans son ensemble est bonne mais surtout plaisante. »

Cette théorie s’accorde avec la morale et la métaphysique, de Schopenhauer. L’art, dans ce système, est une distraction qui enlève l’homme au sentiment de ses misères présentes. Le rire en particulier, c’est le rayon de soleil qui en perce les sombres nuages. La tragédie est la réalité sérieuse, terrible ; la comédie est l’illusion momentanée qui nous en distrait. Là est son rôle. La première invite à la résignation ; la seconde aide à supporter le fardeau et en allège le poids.

Mais il en est de la comédie comme de l’humour : la tristesse doit s’y mêler à la joie et le sérieux à la gaieté.

Cette pensée, si elle n’est pas aussi nettement exprimée par Schopenhauer, l’est dans ses successeurs.

On est étonné que M. de Hartmann, l’auteur de la Philosophie de l’Inconscient, n’ait pas traité ce sujet avec l’étendue qu’il mérite. Dans le rire et le comique, l’esprit perçoit un rapport ou des rapports multiples, difficiles à saisir, et cela avec une telle rapidité que