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BÉNARD. — la théorie du comique

pensée, le degré de la connaissance élevée à la seconde puissance exige, un effort. Voir cette sévère et infatigable maîtresse, cette importune gouvernante, la raison, réduite à l’impuissance, doit nous égayer. » (Die Welt, II.)

Il y aurait à voir si ceci est parfaitement d’accord avec la théorie de la connaissance telle que la donne Schopenhauer.

« Le rire est un signe distinctif de l’homme. L’animal, étant dépourvu de raison et par là d’idées générales, est incapable du rire comme de la parole. Le rire est donc un privilège et un signe caractéristique de l’espèce humaine. » — Cela est très juste, mais n’apprend rien. Dans ce qui suit se révèle le moraliste : « La manière dont on rit et le motif qui nous fait rire caractérisent les personnes. Plus un homme est sérieux, plus il est capable de rire de bon cœur. Les hommes dont le rire est toujours affecté et forcé sont intellectuellement et moralement d’un esprit léger… Les enfants, les hommes grossiers rient pour les motifs les plus insignifiants, il y a plus, les plus grossiers et les plus dégoûtants pour peu qu’ils soient inattendus. — Si les hommes ordinaires s’ennuient lorsqu’ils sont seuls, c’est qu’ils ne peuvent rire seuls, etc. »

On pourrait citer une foule de traits du même genre. Une pensée déjà émise par Kant et poétiquement exprimée est la suivante :

« Puisque le rire cause du plaisir, l’expression de la physionomie dans le rire se rapproche aussi beaucoup de celle de la joie. Ce qu’est sur un beau paysage un rayon de soleil qui perce les nuages l’est sur un beau visage l’apparition du rire : ridete, puellæ, ridete.

Nous trouverions aussi sur les formes du risible et du comique des remarques fines et justes, sur le rire offensant, le rire sarcastisque, sur l’ironie, l’esprit de saillie, etc.

En quoi consiste l’humour, selon Schopenhauer ? Sa théorie ne nous paraît pas non plus bien neuve. Il distingue l’humour de l’ironie. L’ironie est objective, l’humour est subjective. « Considérée de plus près, l’humour consiste dans une disposition subjective, mais sérieuse et élevée, qui involontairement entraine un conflit avec le monde commun ou vulgaire qui lui est hétérogène, auquel il ne saurait ni échapper ni se livrer. Par conséquent, il (l’humoriste) cherche un moyen de penser sa propre opinion et le monde extérieur sous la même idée. » (Id., ibid). Dans cette phrase subtile et embarrassée, on voit l’intention de mettre d’accord la définition de humour avec celle du comique et avec le système qui est le pessimisme. L’humour, c’est toujours la plaisanterie sérieuse où la tristesse s’allie à la joie et est au fond de la gaieté. Une remarque fort juste est celle-ci : « L’ironie commence avec l’air sérieux et finit