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seur humoriste et un écrivain remarquable, dont l’ironie est redoutable à ses adversaires. Son pessimisme n’est pas gai ; mais on sait précisément que, dans l’humour, la tristesse s’allie à la gaieté, et que le comique y renferme les contraires. Enfin Sehopenhauer est naturaliste et moraliste à la fois. Par ces deux côtés, peut-être trop négligés des écoles précédentes, le sujet peut donner lieu à des observations nouvelles et à des réflexions ou à des maximes utiles. Quand on étudie, sous ce rapport, les écrits du philosophe de Francfort et de ses successeurs ou disciples, l’attente n’est pas tout à fait déçue. Certes, si l’on voulait se donner la peine de recueillir toutes les observations, les réflexions, les pensées éparses et disséminées dans les écrits de cette école, la science pourrait s’accroître d’un assez riche butin. Pourrait-on dire qu’elle a beaucoup progressé ? Nous ne le pensons pas. L’esthétique de Schopenhauer d’abord est peut-être la partie la moins originale de son système ; elle est tout empruntée à Platon quant au fond, à Kant, à Schelling, à Hégel même, dont il dit tant de mal et qu’il a injuriés d’une façon humoristique, mais injuste, puisqu’en somme il leur emprunte sans cesse, sans même toujours bien déguiser ses emprunts. Il n’en est pas moins vrai que sur ce sujet, ce qui a trait au comique, au risible, au rire, à l’humour, aux formes de la plaisanterie, etc., il y a chez lui beaucoup de détails intéressants et de remarques aussi justes que profondes ; mais c’est précisément ce qui échappe à notre exposé et ne saurait s’analyser.. Bornons-nous à quelques points principaux. D’abord la définition du risible « Le risible consiste dans la subsomption paradoxale et inattendue d’un objet sous une idée qui lui est du reste hétérogène, par conséquent dans l’incongruence entre l’abstrait et le concret. » (Die Welt.) « Le rire est l’expression de cette incongruence. » (Ibid.)

Cette définition ne nous offre rien de bien neuf. C’est celle du contraste et de l’absurdité sensible. Elle diffère peu de celle de Jean Paul ou de Kant. Un ingrédient semble s’y ajouter l’idée ; lui-même plus développé nous mènerait peut-être a la théorie platonicienne ou hégélienne.

Ce qui suit est plus original. Pourquoi la perception d’une incongruence subitement aperçue entre ce qu’on pense et ce qu’on voit nous réjouit-elle ? — « C’est que, dans toute opposition, entre un « objet perçu et ce qui est conçu le premier, l’objet perçu, conserve toujours son droit indubitable. Cette victoire de la perception sur la pensée nous réjouit. En effet, l’intuition est le mode primaire de la connaissance, le médium (l’organe) présent de la jouissance et de la gaieté. Elle n’est liée à aucune contention, tandis que la