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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

avec une liberté plus grande que les autres arts ; à plus forte raison se sent-elle à l’aise quand il s’agit d’objets avec lesquels ses moyens d’expression n’ont qu’une analogie lointaine, comme les sentiments et les pensées. Smith place très haut l’art de la danse ; sans être supérieur à l’art du statuaire et du peintre, il peut « représenter tout le cours d’une longue histoire et exposer une suite de situations liées et intéressantes ; par là, il est capable de nous affecter plus vivement que les productions immobiles des arts plastiques. » II consiste à imiter au moyen de pas cadencés et d’attitudes gracieuses ou terribles les diverses actions des hommes, particulièrement celles qui sont liées aux passions les plus fortes, comme l’amour et la terreur. Le danseur « figure et façonne pour ainsi dire une chose d’un certain genre de manière à la faire ressembler à une autre chose d’un genre très différent. Son art surmonte la disparate que la nature a mise entre l’objet imitant et l’objet imité, et par cette raison il a l’espèce de mérite qui est propre aux arts imitatifs » (p. 127), à un moindre degré cependant que le peintre et le statuaire, qui ont à surmonter de plus grandes difficultés. L’essai n’est pas terminé et ne traite pas spécialement de la poésie. Cet art est seulement étudié dans sa connexion avec les autres arts du rhythme. Il s’est développé avec eux, dit Smith ; à l’origine, il en était très probablement inséparable. L’exécution de pas de danse au son de paroles chantées dont le sens devait être en harmonie avec l’action mimée par le danseur ne formait d’abord qu’un seul et même exercice. Ce n’est que plus tard que les trois parties simultanées de ce jeu se séparèrent pour former des genres distincts, sans que pourtant la danse puisse jamais entièrement se passer de la musique. L’opéra nous montre encore leurs effets réunis. Le lecteur observera combien ces aperçus sont près d’une théorie sur l’évolution des arts. Ils sont même appliqués à certains cas particuliers dans lesquel ils trouvent un commencement de vérification expérimentale. « Les nations peu civilisées, dit Smith, dans les premières tentatives et les grossiers essais qu’ils firent de l’art du chant, ne purent sans doute donner beaucoup d’attention aux nuances délicates du ton. » Ce sont les effets musicaux du rhythme qu’ils durent observer tout d’abord, et il en est de même encore des populations grossières de tout pays que le son des instruments à une seule note, comme le tambour, charme plus que les plus riches symphonies (p. 137). On serait curieux de savoir si, dans les volumineux manuscrits qu’il a détruits avant sa mort, Smith avait développé, en considérant les autres arts, ces indications sommaires qui prennent aujourd’hui, grâce aux progrès de l’évolutionnisme, une portée inattendue.