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BÉNARD. — la théorie du comique

ici de même que chez les précédents comme terme opposé ; il est une simple négation du beau. Mais, du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas ; le pas, c’est aussi une chute d’où le comique se relève ; c’est aussi une renaissance ou une résurrection. Dans ce processus, le beau, le sublime, le comique forment donc les trois membres ou les moments essentiels, les trois degrés du développement total.

Les hégéliens ne sont pas d’accord sur ce point ; il y a grand débat entre eux (voy. Schasler). Nous n’entrerons pas dans ce débat ; mais nous voudrions montrer tout ce que Vischer, malgré les reproches qui lui sont adressés, a trouvé de rapprochements ingénieux dans son opposition du sublime et du cornique. Les bornes de cet article ne nous permettent pas de suivre l’auteur dans ses développements et ses détails, dont la valeur est indépendante de sa théorie.

Pour ne citer que quelques exemples : Pourquoi le comique ne répond-il pas au sublime de quantité, mais au sublime de la force ? Pourquoi le règne animal, où se reflète cependant le comique, ne le contient-il pas réellement ? Une foule d’observations fines et ingénieuses répondent à tous ces points d’un réel intérêt. Poursuivant cette théorie, Vischer établit la gradation des formes du comique et l’enchainement (Gliederung) de ces formes. Il distingue d’abord trois membres : le comique objectif ou le bouffon, le comique subjectif, qui est l’esprit de saillie, et le comique absolu, qui est l’humour. Dans l’humour, il reconnaît trois formes, l’humour naïf, l’humour brisé (gebrochene) et l’humour libre. On peut trouver le cadre artificiel, contester la rigueur des déductions ; mais la valeur des analyses subsiste, et du rapprochement de toutes ces formes jaillit souvent la lumière. Les effets du comique, les sentiments ou les émotions qu’il produit sur l’âme humaine, le plaisir du rire, en particulier, ne sont pas moins étudiés avec soin et donnent lieu à des explications intéressantes.

Nous voudrions pouvoir suivre l’auteur dans les deux autres parties de son ouvrage. Dans la deuxième, la beauté de la nature, dans tous les règnes et sous toutes ses formes, est décrite avec une grande richesse de détails ; le comique n’y apparaît que sur les confins de la nature animale. Nos voisins, les animaux, en eux-mêmes et pour eux-mêmes ne sont ni risibles ni comiques. Ce n’est qu’autant que nous voyons dans leurs formes et leurs habitudes un reflet de la vie humaine qu’ils excitent chez nous le rire. Le spectateur ici prête à l’acteur son sens, sa manière de voir et son propre rôle. Le monde animal est un miroir brisé, comme l’a dit Herder, dont les fragments épars reproduisent les divers côtés de la nature humaine. Ce n’est pas moins un trésor pour le comique ; la caricature l’exploite