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BÉNARD. — la théorie du comique

Tel est donc le problème à résoudre : la place (Stellung) quele comique doit occuper dans le processus dialectique de l’idée du beau, Cette place, selon Weisse, est celle-ci : Il y a d’abord la beauté en elle-même comme telle, le beau dans son unité ou dans son harmonie. Il y a ensuite la beauté dans son opposition à elle-même, qui s’élève au-dessus de toute forme finie ; elle devient alors le sublime ; enfin une troisième forme est celle du laid, qui est une négation, mais se niant elle-même, engendre le comique. Le comique est le beau qui reparaït au sein de la laideur, la réintégration du beau dans le laid, le triomphe définitif de l’idée (die Wiederherstellung der Schünheit). Le comique est le laid, mais la laideur détruite et conciliée (aufgehobene Hässlichkeit).

On le voit, le fond de la théorie n’est pas changé ; c’est toujours la subjectivité infinie de Schelling et de Hegel. L’infini reparaît au sein du fini. L’idée sortie d’elle-même revient à elle-même ; après la scission, la dissolution, le désordre, reparait l’ordre ; à travers le nuage obscur et les ténèbres perce le rayon lumineux de l’esprit.

Ainsi s’expliquent les effets du comique, le plaisir, la jouissance profonde qu’il produit en nous. L’esprit délivre des chaînes ou des limites de l’existence finie, rentre dans la possession de son activité, qui s’exerce librement en tout sens (eine freie allseitige Thätigkeit). De là aussi la définition du rire et l’explication, à la fois psychologique et physiologique, du Phénomène qui le constitue.

Nous n’entrerons pas dans les détails de cette théorie, exposée d’une façon confuse, mais semée de traits profonds, qui accusent un penseur original. Le principal mérite de Weisse, c’est, selon les esthétitiens de cette école, d’avoir marqué la place du comique dans la science du beau, et déterminé son rapport avec les idées voisines du sublime et du laid dans la série dialectique ou le développement de l’idée du beau (voy. Schasler).

Parmi les disciples de Hegel, il convient de citer ici surtout A. Ruge, qui a fait un traité spécial sur le comique. Bien que ce traité dépasse de beaucoup ce sujet, qui n’apparaît que dans la dernière partie, celui-ci en forme le but principal. L’idée fondamentale ne s’écarte guère de celle de Weisse. Le comique n’est autre que l’idée qui dans son développement ou son évolution, après s’être opposée à elle-même et avoir opéré une scission, revient sur elle-même. L’idée va du beau au sublime ; du sublime, qui est une élévation, elle tombe et fait une chute. Cette chute, c’est la laideur. Elle va ainsi du beau au laid ; mais si elle tombe, de cette chute elle se relève. Elle s’était comme perdue, elle se retrouve, et cette découverte d’elle-même la réjouit. Le sublime, c’est l’élévation de l’idée au-dessus d’elle-même