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fini. Le poète comique anéantit le monde ; il l’affranchit de toute loi et de toute raison, pour en faire un miroir de sa propre liberté.

Si la théorie est peu claire, la critique est plus explicite. Hegel porte un jugement sévère sur l’ironie dans l’art. (Esth., Introd.) ; il regarde ce rejeton de la philosophie de Fichte comme une excroissance et une sorte de maladie de l’esprit. Il n’épargne ni Fr. Schlegel ni Jean Paul. Solger seul trouve en lui un juge indulgent (ibid.). Ailleurs (1re partie), il s’élève contre ce qu’il appelle la fausse originalité de l’esprit de saillie et de l’humour. La vraie originalité, selon lui, doit être distinguée du caprice et de la fantaisie. Elle est ce qu’il y a de plus personnel dans l’artiste ; mais elle ne cesse pas d’être objective et n’a rien d’arbitraire (ibid.). Il oppose l’humour profond et élevé de Shakespeare à celui de Jean Paul. L’humour, d’ailleurs, quand il domine, à ses yeux n’est toujours qu’une forme secondaire, une dégénérescence de l’art. Le genre humoristique donné comme forme supérieure annonce une époque de décadence et de dissolution de l’idéal (2e partie). Quant à la théorie du tragique et du comique telle qu’elle est exposée dans la troisième partie, où la poésie dramatique sert de couronnement à la philosophie de l’art, elle est fort incomplète, plutôt historique et critique qu’une vraie théorie. Elle est semée dé traits profonds et de jugements remarquables, d’un haut intérêt ; mais la différence des deux genres n’y apparaît pas avec une suffisante clarté. Le parallèle de la comédie ancienne et de la comédie moderne laisse aussi beaucoup à désirer. L’ensemble n’offre rien de net et de précis, et les points essentiels sont à peine indiqués. — Pour avoir la vraie théorie du comique dans l’esthétique hégélienne, c’est aux disciples de Hegel ou a ses successeurs qu’il faut s’adresser.

Les principaux esthéticiens de cette école qui ont traité à fond ce sujet sont Christian Weisse, Arnold Ruge et Théodore Vischer.

Ch. Weisse est un disciple indépendant de Hegel ou un semihégélien. Il adopte sa méthode dialectique avec des réserves et en fait un emploi différent. À l’aide de cette méthode, il prétend donner à l’esthétique une forme scientifique. Ecrivain obscur, son langage est pénible, abstrait, hérissé de formules et semé de métaphores ; il émet néanmoins des pensées profondes souvent originales. La théorie du comique en particulier n’est pas sans intérêt. Dans son entreprise de donner à l’esthétique un caractère scientifique et systématique, il s’efforce de déterminer la place du comique, par rapport aux autres idées, dans le mouvement dialectique de l’idée du beau ; car le comique, c’est une forme de l’idée du beau, un moment dans le développement de cette idée.