Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/26

Cette page n’a pas encore été corrigée
22
revue philosophique

d’art, c’est de ne pas avoir d’autre but que de plaire ; elle-même est sa propre fin ; tandis que les autres actes, même très voisins de ceux de l’artiste, ont un but directement utile et tendent à une fin extrinsèque. C’est ainsi que la marche et le pas de théâtre lui-même se distinguent de la danse proprement dite, c’est ainsi que la parole commune se distingue du chant (p. 135-139, vol. II). Smith forme deux groupes des différents arts ; un premier contient la peinture, la sculpture et l’architecture ou les arts plastiques, le second la musique, la danse et la poésie ou les arts rhythmiques. Sur les premiers les observations de Smith, bien qu’intéressantes, ne sauraient trouver place ici ; nous devons mentionner tout au moins quelques-unes de ses vues sur les seconds. Ce qu’il en dit paraît inspiré par un goût très vif pour les productions de ces arts. Il remarque que la peinture ne plaît guère par le seul assemblage des couleurs et des lignes, et qu’elle doit nous présenter l’image de quelque objet défini avec lequel nous sympathisons ; tandis que la musique plaît par la seule succession des sons, et, sans rien imiter que la marche allègre ou lente, passionnée ou mélancolique de nos pensées (p. 107), suscite en nous directement des sentiments primitifs de joie ou de tristesse. « La mélodie et l’harmonie de la musique instrumentale ne suggèrent clairement l’idée d’aucun objet différent de cette mélodie et de cette harmonie elles-mêmes. Quel que soit l’effet produit, c’est l’effet immédiat de cette mélodie et de cette harmonie et non de quelque autre chose qui soit suggéré à l’esprit par elles et qu’elles servent seulement à désigner » (p. 123). Le plaisir excité par la musique n’est cependant pas pour cela un plaisir exclusivement sensible ; par la combinaison simultanée ou successive des notes, des mesures et des timbres, qui est à la musique ce que l’ordre et l’enchaînement des pensées sont au discours, cet art s’adresse à l’esprit et « le fait jouir d’un plaisir intellectuel qui peut être comparé à celui que procure la contemplation d’un grand système dans toute espèce de science » (p. 121). Comme les combinaisons de son sont libres et en nombre infini, il y a là pour la musique une supériorité sur les arts plastiques, toujours attachés à l’imitation de formes réelles. Elle se meut sans entrave dans le champ de l’idéal. Même en admettant qu’elle imite les intonations du discours, elle les transforme à tel point qu’il est difficile de trouver entre les sons musicaux et les sons de la parole la parenté originelle. Les premiers peuvent toujours être définis exactement et leurs intervalles mesurés ; les seconds, même chez les peuples dont la langue ressemble à un chant, sont séparés par des intervalles trop petits pour être déterminés. La musique se joue donc des objets qu’elle imite le plus directement