Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
revue philosophique

Voici comment Schelling s’explique lui-même sur l’essence du comique et de la comédie (Sämmtliche Werke, t. V, p.741) : « Toute conversion d’un rapport nécessaire crée une contradiction frappante, et pour les yeux une absurdité (Ungereimtheit) dans le sujet où cette conversion se produit. Or il y a des absurdités qui sont d’une nature insupportable, parce qu’elles sont perverses et repoussantes et qu’elles ont des conséquences sérieuses. Seulement le cas admis de l’inversion (Umkehrung), l’absurdité est toute objective et toute terreur disparaît. Alors il y a un plaisir pur à voir l’absurdité en soi et pour soi ; ce plaisir est ce qu’en général on nomme le comique. » (Voy. Cf. Vischer, 403.)

Nous ne voyons, en tout ceci, rien de bien neuf, à part l’évolution ou la conversion. Il est bien question aussi de tension et de relâchement, ce qui est un emprunt fait à Kant : « Nous avons l’esprit tendu à saisir l’absurde qui contredit notre faculté de compréhension ; mais nous remarquons dans cette tension immédiatement une parfaite absurdité et impossibilité de la chose, de sorte que cette tension est subitement suivie d’une détente. Ce passage subit s’exprime extérieurement par le rire. » (Ibid.)

Si nous interrogions les disciples, Ast, en particulier, qui a laissé une théorie de l’art (Kunstlehre, p. 235, etc.), nous ne trouverions rien de bien original. C’est un commentaire où les mêmes formules, souvent assez vides, se reproduisent sans amener une explication véritable ni des applications où se révèle la fécondité du principe. L’échantillon suivant peut en donner une idée. « La liberté infinie ne peut se révéler que par la destruction arbitraire d’un infini ou d’un tout objectif. Le poète comique anéantit le monde en l’affranchissant de toute nécessité, de toute conformité à la raison, pour en faire un miroir de sa propre liberté et de son caprice. » (Ibid.) Il le représente (le monde) comme se contredisant en lui-même et par l’absence de toute règle se détruisant lui-même. Tout comique repose sur une double contradiction : celle de l’objectif, du monde avec lui-même et du subjectif, du poète avec lui-même (Kunstlehre, ibid.).

Cette phraséologie consacrée de l’école, qui ne peut sortir des ambages de la métaphysique pour s’appliquer aux faits eux-mêmes et donner la solution des problèmes particuliers auxquels toute théorie doit satisfaire, nous rappelle le mot de Schiller au sujet d’un article de Stephan Schütz sur sa Jeanne d’Arc : « Il manque à la philosophie transcendantale un pont par lequel elle se rattache aux faits. » (Schiller, Corresp. avec Gœthe.)

On aurait tort cependant de croire que l’esthétique ne doive rien à cette philosophie en ce qui touche à notre problème et qu’avec elle