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BÉNARD. — la théorie du comique

parcouru tous les degrés de la conscience. Ce qu’on peut saisir de plus clair, c’est que le vrai comique, qui apparaît comme contraste ou opposition avec le tragique, a son principe dans l’obscure conscience, le sentiment profond d’une harmonie intérieure que ne trouble pas la vue des contradictions les plus insensées du monde réel et de la vie humaine.

Le rire que produit le vrai comique (non simplement le ridicule ou le risible), le comique de l’humour, par exemple, naît de ce sentiment qu’a la personne, humaine, de rester, dans son fond et son essence, supérieure à toutes ces contradictions, à tous ces contrastes, à toutes ces absurdités que recèle et met sous nos yeux le spectacle du monde fini, des ridicules et des misères de l’existence humaine.

C’est toujours cette subjectivité infinie, que nous avons vue précédemment comme corollaire de la philosophie de Fichte dans l’ironie divine. Le fond de la doctrine de l’humour de Jean Paul, de Fr. Schlegel et de Solger se retrouve dans le nouveau système. Il prend seulement un caractère objectif et devient une des formes du développement de l’absolu dans la conscience universelle.

L’activité infinie du moi jouissant de lui-même, anéantissant toutes les formes finies, est toujours le point culminant de l’art. L’idéalisme subjectif de Fichte a conduit à ce résultat. La nouvelle philosophie de l’absolu le recueille et le transforme. Elle ne l’admet qu’après lui avoir fait subir un changement ou renversement, une évolution, ce qu’elle appelle une conversion (Umkehrung). Ainsi, le comique naît bien de la vue d’un contraste, d’une opposition, d’une absurdité même qui éclate au sein de l’existence, finie et que nous offre souvent le spectacle des choses humaines ; mais d’abord, au lieu d’être terrible et nuisible, de menacer notre existence l’opposition apparaît objectivement ou en spectacle, dans sa nullité, son néant ; elle cesse tout à coup d’être sérieuse. En face de ce spectacle, le moi, l’individu, s’élève au-dessus de lui-même, il se retrouve lui-même dans sa nature infinie.

La secousse qu’il a éprouvée, à cette vue soudaine, provoque le jeu facile de ses facultés. Au sentiment pénible succède une jouissance profonde dont le fond est le calme et l’imperturbabilité. C’est ainsi, du moins, que nous comprenons la pensée de Schelling et des esthéticiens de son école, à travers les phrases, quelquefois amphigouriques, dont on a eu raison de se moquer chez nous, comme celles de Schütz, par exemple, qui ont excité l’hilarité de certains critiques (Léon Dumont, Ch. Lévêque, etc.).

Dans ce système, le poète comique est un petit monde, et le comique est la fleur de l’art.