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des changements sociaux les plus absolus rêvés par le communiste le plus téméraire, sa nécessité s’imposerait encore. On se récrie contre la rente foncière urbaine, contre l’énormité des loyers, et l’on espère faire cesser cet état de choses par le communisme. Mais, si l’État était propriétaire de toutes les maisons de Paris, malgré la meilleure volonté du monde d’abaisser les loyers en général, et en outre de les égaliser, il ne tarderait pas à les relever pour opposer une barrière à l’affluence des étrangers et des provinciaux et à les rendre inégaux pour empêcher tous les Parisiens de se précipiter dans les quartiers les plus recherchés. Egoïste ou bienfaisant, n’importe, on ne peut, lorsqu’il s’agit de choses en petit nombre désirées par un grand nombre d’hommes, arriver à l’équation entre les choses à donner ou à vendre et les candidats au don ou à l’achat que moyennant une surélévation des prix ou des conditions de la donation. Préférerait-on et trouverait-on plus juste que, parmi de nombreux compétiteurs empressés à occuper un même logement splendide à très bon marché, l’État philanthrope désignât arbitrairement son favori ? Or la limite où s’arrêterait, pour l’État désintéressé comme pour les propriétaires cupides, la surélévation nécessaire des prix ou des conditions, serait celle où il cesserait d’y avoir un nombre suffisant de candidats qui jugeraient avoir avantage à accepter, toute pesée faite de leurs désirs divers et de leurs confiances diverses dans l’utilité des objets correspondants.

Les formes et la nature de cette pesée intime peuvent varier et donner des résultats discordants ; mais c’est toujours elle qui détermine le prix. Chez les hommes à principes que leurs convictions plutôt que leurs passions entraînent, la volonté d’acheter se produit au moment où ils sont plus convaincus du devoir d’acquérir la chose en question que du devoir d’acquérir les autres du même prix. — Bien plus souvent, quand on hésite à acheter, on se livre à des évaluations comparées de doses de foi et de doses de désirs, comme il a été dit précédemment. Entre deux actions industrielles à vendre dont l’une produit un intérêt de 4 3/4 et est très solide ou paraît telle et dont l’autre de solidité douteuse donne 7 à 8 0/0, je me demande de quel côté je dois pencher. Il s’agit de réduire deux quantités hétérogènes à une mesure commune, ce qui serait impossible, si l’une d’elles, la foi, n’était le terme et l’origine de l’autre, sa cause et sa consommation.

Ce qui précède n’a trait qu’au prix que j’ai appelé stable et normal et qu’il conviendrait peut-être d’appeler naturel et forcé. Disons maintenant un mot du juste prix. Soit imposé par le vendeur ou l’ouvrier, soit imposé par l’acheteur ou le patron, le prix, le salaire