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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

tive dont ils étaient saisis en présence de tout phénomène grandiose et insolite. Quand enfin le progrès des arts eut allongé leurs loisirs, leur curiosité s’éveilla, ils observèrent les moindres irrégularités dans les apparences de la nature et voulurent connaître la chaîne qui leur sert de lien. « Et, bientôt animés de ces sentiments d’élévation et de gaieté qu’inspire aux âmes généreuses l’éducation qu’elles reçoivent au sein d’une société civilisées où elles trouvent si peu d’occasions de sentir leur faiblesse et tant d’occasions de connaître leur force et leur sécurité, ils furent moins disposés à recourir, pour trouver la chaîne de liaison qu’ils cherchaient, à ces êtres invisibles qu’avaient forgés la crainte et l’ignorance de leurs grossiers aïeux. » C’est ainsi que naquit enfin et s’implanta l’idée d’une loi unique et d’un système continu capables d’embrasser tout l’univers. Cette loi est celle de la gravitation universelle, ce système est celui « du chevalier Isaac Newton ». Grâce à ce système, toutes les apparences, même les plus disparates, sont réduites à l’unité ; une connexion rigoureuse enserre toutes les parties du monde, les phénomènes sont déterminés pour l’avenir comme pour le passé jusqu’au détail le plus précis, et l’imagination, loin d’avoir à faire pour obtenir ce résultat de pénibles efforts est soulagée des fatigues que lui demandaient les hypothèses antérieures. Les principes de liaison employés par l’astronomie moderne sont, malgré leur extension illimitée, des plus familiers et des plus simples.

Après les facultés cognitives viennent les facultés imaginatives. L’esprit curieux et inventif de Smith s’était porté à plusieurs reprises vers l’observation de cette classe de faits que nous appelons esthétiques, et l’avait fait avec succès. Les fragments assez importants qui nous sont restés de cette partie de son œuvre abondent en vues originales pour le temps[1]. Il pense que le but de l’art n’est pas proprement l’imitation ; l’imitation poussée jusqu’à la complète similitude n’offre aucun intérêt ; ce qui excite l’approbation et cause du plaisir, c’est la ressemblance d’un objet obtenue par des moyens différents et même fort éloignés de sa manière d’être ; il suffit à l’œuvre d’art de donner l’idée de l’objet imité. « Ce qui dans les arts imitatifs constitue le mérite de l’imitation, c’est précisément de faire en sorte qu’une chose d’un certain genre ressemble à une autre chose d’un genre très différent » (p. 93, vol. II). Un autre trait distinctif de l’œuvre

  1. Voir dans la traduction de Prévost de Genève publiée à Paris an V de la République (1797, vieux style), avec ce titre : Essais philosophiques par feu Adam Smith, précédés d’un précis de sa vie et de ses écrits par Dugald-Stewart, l’essai inachevé sur La nature de l’imitation qui a lieu dans les arts qu’on nomme arts imitatifs, et le morceau sur L’affinité qui règne entre la musique, la danse et la poésie, volume second.