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intensité sur ceux qu’ils pourraient satisfaire, si j’augmente mon prix de ces quelques francs ou de ces quelques centimes ? — voilà la question. ».

Dans le cas où il s’agirait d’un produit susceptible d’une fabrication illimitée, le problème se compliquerait parce qu’il renfermerait deux inconnues, fonctions d’ailleurs l’une de l’autre, à savoir le prix le plus avantageux comme précédemment, et en outre la quantité de production correspondante à ce prix le plus avantageux. Mais les données resteraient les mêmes. Il faudra ne jamais oublier que le désir d’acheter un objet est en quelque sorte le reste d’une soustraction, c’est-à-dire l’excès du désir de posséder l’objet sur le regret de se déposséder de l’argent qu’il coûte. Il y a ici un désir positif et un désir négatif dont le second neutralise partiellement le premier, du moins pendant quelque temps. Car, après l’achat, l’argent dépensé s’oublie en sa qualité d’absent, et la vue de l’objet entretient constamment le désir de sa possession, dont l’étendue se démasque.

Le public, à l’égard d’un article quelconque, se partage en deux portions : les gens chez lesquels l’amour de cette chose l’emporte sur l’amour de son prix et les gens qui tiennent plus au contraire à son prix qu’à elle. Mais on conçoit qu’en deçà et au delà de cette ligne idéale de démarcation il y aurait théoriquement des degrés infinis de plus ou de moins à marquer. On n’a égard en économie politique qu’aux gens chez lesquels le désir d’acquisition l’emporte. Tout au moins devrait-on dire que, suivant qu’il l’emporte plus ou moins, l’objet en question vaut plus ou moins son prix pour chacun d’eux. Ce qui serait un nouveau sens du mot valeur. À l’inverse, m’occupant de ceux qui ne veulent pas acheter l’objet dont il s’agit et qui repoussent plus ou moins vivement la pensée de l’acheter à un prix jugé par eux excessif, j’ajouterais volontiers qu’il y a là les éléments d’une contre-valeur susceptible d’autant de degrés que la valeur correspondante, et très propre à faire comprendre, par son opposition la nature vraiment quantitative de celle-ci.

Mais concluons. J’en ai assez dit, peut-être trop, je le crains, pour montrer quelle est la vraie concurrence dont les économistes théoriciens devraient s’occuper, non pas celle des consommateurs et des producteurs, mais celle des divers désirs et aussi bien des diverses croyances dans chaque consommateur distinct. Ramener, en définitive, tous les problèmes économiques, quels qu’ils soient, à une équation de désirs ou de croyances : telle est notre méthode.

Dans ce qui précède j’ai écarté l’hypothèse vraiment invraisemblable, quoique si chère aux économistes, où, tous les privilèges de situation ou autres étant supprimés, la concurrence, entièrement