Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
revue philosophique

dont la majeure est une volonté (composé où domine le désir) et la mineure un jugement (composé où domine la croyance). Par exemple, je veux, avec une intensité égale à 8, doubler les bénéfices de ma minoterie. Je juge, avec une intensité égale à 4, qu’en doublant le nombre de mes paires de meules j’y parviendrais. Je dois, avec une intensité égale à 4 et non à 8, doubler le nombre de mes paires de meules. Renversons les proportions en supposant ma volonté égale à 4 et mon jugement à 8 ; le devoir n’aura ni augmenté ni diminué. Quand on dit que les bénéfices de l’entrepreneur sont en partie un dédommagement des risques qu’il à courus, on reconnaît la légitimité de la compensation établie par moi, et si fréquente en morale ou en économie politique, entre le moins de foi et le plus de désir. Le désir plus vif que suscite dans le cœur de l’entrepreneur l’appât d’un bénéfice supérieur à celui des ouvriers le console d’être moins assuré du succès qu’ils ne le sont de toucher leurs salaires. — Inversement, les actionnaires des sociétés anonymes risquent peu en général avec peu de chances de gagner beaucoup. Sans ce beaucoup, ces sociétés n’auraient pu naître. — Au moment de l’émission des actions pour le percement de l’isthme de Suez, les actionnaires en versant leurs fonds ont tiré purement et simplement la conclusion d’un syllogisme naturel dont l’universel et profond désir de navigation économique et accélérée était la majeure et dont la foi de M. de Lesseps dans la réalisation possible de son plan, foi moins profonde en somme et affaiblie en se propageant, était la mineure.

Encore un mot sur ces notions auxiliaires. Le prix comparé des terres vierges très peu désirées qui se vendent 16 francs l’hectare aux États-Unis, et des terrains de nos grandes villes extrêmement désirés qui se vendent jusqu’à 2,000 francs le mètre carré ; la valeur des titres de noblesse, des décorations et en général de toutes les choses qui seraient inutiles indépendamment du désir dont elles sont l’objet par cela seul qu’on les croit désirées par autrui ; la dépréciation soudaine de toutes choses artificielles dans les pays ravagés par une grande épidémie qui amortit tous les désirs correspondants, et, au contraire, la plus-value réelle que donne à toutes choses naturelles ou fabriquées le progrès de la santé publique, accompagnée de désirs grandissants : tous ces faits montrent assez la part du désir dans la formation de la valeur. Ils montrent aussi que, malgré Stuart-Mill, il peut y avoir une hausse et une baisse générale des valeurs. D’autres attestent non moins clairement le rôle important de la foi. On le sait, pour peu que la sécurité s’ébranle ou se raffermisse, que le crédit se resserre ou se développe dans un État, il se ruine ou s’enrichit. Au xviiie siècle, d’après Roscher, il y avait en