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la politique triple et une, assujetti de plus en plus à mesure que l’activité militaire développe son organisation propre, se met à reprendre possession de la puissance quand la guerre cesse d’être permanente. La subordination se relâche aussitôt qu’elle devient moins impérative. La crainte respectueuse du chef, local ou général, et les manifestations concomitantes d’allégeance, diminuent, surtout lorsque le prestige de l’origine surnaturelle du chef s’évanouit. Les vieilles relations survivent longtemps sous des formes modifiées parmi les populations rurales ; mais les clans ou groupes féodaux rassemblés dans des villes, mêlés à de nombreux immigrants indépendants, deviennent de diverses façons moins gouvernables, en même temps que les habitudes qui y règnent façonnent l’éducation de leurs membres et les rendent plus indépendants. Les petits groupes industriels qui se forment de la sorte dans une nation consolidée et organisée par le régime militaire, ne peuvent manquer de prendre peu à peu une nature différente de celle du reste. Longtemps ils demeurent en partie militaires par leur structure et leurs rapports avec les autres parties de la société. D’abord les villes à chartes vivent sur le pied de fiefs, s’acquittant des droits féodaux et du service militaire. Il s’y forme des associations d’un caractère plus ou moins coercitif, pour la protection mutuelle. Ils font souvent la guerre aux nobles voisins et se la font même entre eux. Fréquemment, ils concluent des ligues pour la défense commune. Lorsque cet état à demi militaire des villes se conserve, le développement industriel et l’accroissement concomitant de la puissance populaire s’arrêtent.

Mais lorsque les circonstances ont favorisé l’activité commerciale et l’accroissement de la population qui s’y adonne, celle-ci devient un élément considérable de la société et fait sentir son influence. L’obligation de rendre argent et service militaire au chef de l’État, obligation qui existait primitivement et souvent remplie avec résistance, est rejetée quand les exactions deviennent excessives ; et la résistance conduit à adopter des mesures de conciliation. Le chef de l’Etat en vient à demander le consentement du peuple au lieu de recourir à la contrainte. Lorsqu’il n’y a pas d’antagonisme local, et que dans les occasions où le chef politique soulève les colères par ses injustices, des défections l’affaiblissent, on voit s’opérer une coalition du peuple avec d’autres classes de sujets opprimés. Des hommes qui n’étaient dans le principe députés qu’avec da mission d’autoriser le chef à imposer des taxes, se trouvent en état, lorsque la puissance d’où ils émanent s’accroît, d’imposer de plus en plus énergiquement les conditions qu’ils mettent à leur consentement. Enfin, à force de céder à leurs réclamations pour obtenir leur