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une question à laquelle il ne paraît pas y avoir de réponse très satisfaisante.

De très bonne heure, nous pouvons voir s’esquisser une tendance à la séparation déterminée par la dissemblance des fonctions. À l’époque carlovingienne en France, il y avait deux rassemblements annuels, l’un plus grand, où tous les hommes libres portant les armes avaient le droit d’assister ; l’autre plus petit, formé de plus grands personnages et délibérant sur des affaires plus spéciales. « Si le temps était beau, tout se passait en plein air ; sinon, dans des bâtiments séparés… Quand les seigneurs laïques et ecclésiastiques furent… séparés de la multitude, il demeura facultatif pour eux de siéger ensemble ou séparément, selon les affaires qu’ils avaient à traiter. »

En d’autres temps et d’autres lieux, nous trouvons la preuve que la différence des fonctions est la cause de la séparation. Les assemblées nationales en armes des Hongrois étaient primitivement mixtes. « La dernière réunion de ce genre, dit Lévy, eut lieu quelque temps avant le bataille de Mohacz ; mais bientôt après la diète se divisa en deux chambres : la table des magnats et la table des députés. » En Écosse, les trois États s’étant rassemblés et souhaitant, pour des raisons d’économie et de convenance, s’excuser de cesser leurs fonctions le plus tôt possible, « élurent certaines personnes pour tenir le parlement, qui se divisa en deux corps, l’un pour les affaires générales du roi et du royaume, et l’autre, plus petit, pour juger les causes en appel. » En Angleterre, bien que les lettres par lesquelles Simon de Montfort convoque son parlement ne fissent aucune distinction entre les magnats et les députés, celles qui furent envoyées, à la génération suivante, alors que le parlement était une institution fondée, firent cette distinction : « l’invitation adressée aux magnats portait expressément qu’il leur serait demandé conseil, et celle qui était adressée aux représentants leur demandait action et consentement. » Il est donc évident que, puisque le corps des magnats antérieurement formé était habituellement convoqué dans un but de consultation, spécialement militaire, tandis que les représentants, corps ajouté au premier plus tard, n’étaient convoqués que pour accorder de l’argent, il existait dès le début une cause de séparation de ces deux corps. Diverses influences conspirèrent pour la produire. La différence des langues, qui durait encore et mettait obstacle à une discussion en commun, fournissait une raison de se séparer. Il y avait encore l’effet de l’esprit de classe, dont nous avons une preuve très nette. Quoique faisant partie de la même assemblée, les députés des bourgs « siégeaient séparés des barons et des chevaliers,