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De la capacité de prescrire les conditions sous lesquelles l’argent sera voté, vient la capacité et finalement le droit de prendre part à la législation. Cette relation se trouve vaguement ébauchée dans les premiers temps de l’évolution sociale. Faire des présents et obtenir redressement des griefs, voilà deux faits qui marchent ensemble dès le commencement. En parlant des présents, nous avons cité l’exemple de Goulab Singth. « Lorsque dans une foule quelqu’un pouvait attirer ses regards en levant en l’air une roupie et en criant ces mots : Maharajah, une pétition ! il fondait comme un épervier sur l’argent, s’en emparait et ensuite écoutait patiemment le pétitionnaire. J’ai au même endroit donné d’autres exemples de la relation qui existe entre l’acte de fournir un aide à l’appareil gouvernant et celui de lui demander protection. À l’appui de tous ces exemples, on peut en apporter d’autres, par exemple celui de l’Angleterre, où « la cour du roi, bien que cour suprême du royaume, ne s’ouvrait qu’à ceux qui apportaient des présents au roi, » et où le moyen de s’épargner des dommages et de se mettre à l’abri de toute agression était d’employer la corruption. Selon Hume, cet état de choses en Angleterre avait son pendant sur le continent.

Si telle est la relation primitive qui unit l’appui donné au chef politique et la protection exercée par ce chef, le rôle des corps parlementaires, quand ils prennent naissance, devient clair. De même que dans l’assemblée primitive composée, du roi, des chefs militaires et des hommes libres armés, assemblée qui gardait en grande partie sa forme primitive, comme en France aux temps mérovingiens, l’offre des présents marchait avec le traitement des affaires publiques, judiciaires aussi bien que militaires ; de même que, dans l’ancien shire-moot anglais, le gouvernement local, administratif et judiciaire, s’accompagnait de prestations de moutons et du payement « d’un abonnement pour le feorm, fultum, ou entretien du roi ; » de même aussi, lorsque la résistance aux excès du pouvoir royal amena la convocation d’assemblées de nobles et de représentants à l’appel du roi, on vit reparaître sous une forme plus relevée ces demandes simultanées d’argent d’une part et de justice de l’autre. Nous pouvons tenir pour certain que, tant que l’humanité ne changera pas, le conflit des égoïsmes des intéressés demeureront les facteurs principaux ; de part et d’autre on cherchera à donner le moins possible et à obtenir le plus possible, selon les circonstances. La France, l’Espagne et l’Angleterre fournissent des exemples qui concourent à le prouver.

Quand le roi de France, Charles V, en 1357, après avoir congédié les États généraux auxquels il reprochait de prétendus empiète-