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que les obligations des deux parts soient remplies. Lorsqu’elles ne sont pas remplies, la relation disparaît et laisse debout le genre de relations où les obligations sont remplies. Le succès et le développement du commerce ont donc pour accompagnement inévitable de maintenir des prétentions respectives des gens intéressés, et de fortifier l’idée de la légitimité de ces prétentions.

En un mot, donc, en dissolvant de diverses manières l’ancien rapport d’état légal, et en lui substituant le rapport nouveau de contrat (pour employer l’antithèse de sir Henry Maine), le progrès de l’industrialisme rapproche des masses de gens que leurs moyens rendent capables de modifier l’organisation politique léguée par le régime militaire, en même temps que leur éducation les y porte.

On a coutume de dire que les gouvernements libres sont l’effet d’accidents heureux. Les luttes entre différents pouvoirs de l’État, ou différentes factions, ont été les causes qui ont poussé les uns ou les autres à briguer l’appui du peuple, et par suite qui ont accru la puissance du peuple. Jaloux de l’aristocratie, le roi a voulu mettre de son côté la sympathie du peuple, tantôt des serfs, plus souvent des citoyens, et par conséquent il les a favorisés ; ailleurs, le peuple a gagné à s’allier avec l’aristocratie pour résister à la tyrannie et aux exactions du roi. Sans doute, il est possible de présenter les faits sous ce jour. Dans la lutte, le désir de se faire des alliés prend naissance ; enfin dans l’Europe du moyen âge, alors que les luttes entre les monarques et les barons étaient incessantes, l’appui des villes était une chose d’importance. L’Allemagne, la France, l’Espagne, la Hongrie en offrent des exemples.

Mais c’est une erreur de voir dans des événements de ce genre les causes de la puissance du peuple. Ce sont plutôt les conditions qui permettent aux causes d’agir ; l’affaiblissement accidentel d’institutions anciennes ne peut manquer de fournir des occasions à l’action de la force contenue jusque-là qui est prête à opérer des changements politiques. On peut distinguer trois facteurs dans cette force : la masse relative des gens qui composent les sociétés industrielles par opposition à celles qui sont incorporées dans des formes plus anciennes d’organisation ; les sentiments et les idées permanents que leur manière de vivre produisent en elles ; enfin les émotions passagères excitées par des actes spéciaux d’oppression ou par le malheur. Voyons comment ces facteurs concourent.

La démocratie athénienne nous en fournit deux exemples. Avant la législation de Solon, l’État était troublé par de violentes dissentions politiques ; il y avait aussi « une révolte générale de la population la plus pauvre contre les riches, résultat de la misère combinée