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LA

PHILOSOPHIE EN ÉCOSSE AU XVIIIe SIÈCLE

ET LES ORIGINES

DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE CONTEMPORAINE[1]


Ad. Smith est bien plus enfoncé dans le siècle que Hutcheson : sa famille n ; est pas une famille de pasteurs ; son père occupait une charge publique ; lui-même, destiné à entrer dans le clergé anglican, ne se trouve pas décidément une vocation suffisante pour l’état ecclésiastique : il reste toute sa vie professeur. Ses relations sont avec Hume, dont les écrits ont été l’une de ses premières lectures, avec les philosophes et les économistes français. Génie laïque, uniquement voué à la science, étranger à toute passion sectaire, mais en même temps fidèle au déisme, il nous présente l’esprit écossais dans son état le plus parfait d’équilibre. Ce n’est point seulement un sagace observateur ses idées prennent volontiers un tour systématique. Le nombre considérable de faits dont il dispose ne lui sert le plus souvent qu’à étayer des thèses claires, frappantes, ingénieuses, qui pourront être dépassées, mais qui auront toujours leur originalité et garderont de l’oubli le nom de leur auteur. Celui-là fonde une science qui sait dégager de la masse indistincte des matériaux accumulés un certain nombre de questions essentielles et pose ainsi quelques points de discussion bien choisis autour desquels viendront s’organiser les généralisations naissantes. C’est ce qu’a fait Smith pour l’économie politique et en grande partie pour la morale. Il l’eût fait sans doute pour l’esthétique, à en juger par quelques fragments, si les manuscrits renfermant la matière de ses cours n’avaient été supprimés de son vivant et par son ordre.

Mais d’abord il est psychologue. Le point de vue de Berkeley lui est connu, et son étude des sens externes se ressent quelque peu de cette influence. Il distingue entre les sensations qui ont leur siège

  1. Voir la Revue philosophique, février 1881, p. 113.