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HERBERT SPENCER. — les corps représentatifs

surtout entre les membres du groupe qu’unit seulement une relation éloignée.

Il doit en être de même aussi dans un assemblage social gouverné par un régime féodal. Tant que des querelles persistantes entre voisins mènent à des luttes locales ; tant que des corps d’hommes d’armes se tiennent prêts à l’action et que les vassaux ont à répondre de temps en temps à l’appel de leur suzerain pour le service de guerre ; tant qu’on attache du prix aux actes d’hommage, comme accessoires du service militaire ; le groupe demeure soumis à un assujettissement semblable à la discipline d’un régiment. Mais, à mesure que les agressions et les contre-agressions deviennent moins fréquentes, le métier des armes devient moins nécessaire, il y a moins d’occasions pour les témoignages périodiques d’allégeance, et l’on voit s’accroître dans la même mesure l’importance des actes quotidiens qui s’accomplissent sous la direction d’un supérieur ce qui favorise l’accroissement de l’originalité du caractère.

Ces changements trouvent une condition favorable dans le déclin des croyances superstitieuses sur la nature des chefs, nationaux et locaux. Comme nous l’avons vu, la croyance qui assigne au roi une origine surhumaine, ou un pouvoir surnaturel, rend son bras plus fort. Lorsque les chefs des groupes constituants de la nation possèdent un caractère sacré dû à leur proche parenté avec l’ancêtre semi-divin que tous adorent, ou qu’ils sont membres d’une race de conquérants, issus des dieux, leur autorité sur leurs sujets est grandement fortifiée. Il en résulte donc que tout ce qui mine le culte des ancêtres et le système de croyances qui l’accompagne favorise le développement de la puissance populaire. Il n’est pas douteux que le développement du christianisme à travers l’Europe, en diminuant le prestige des gouvernants, grands et petits, n’ait préparé la voie à l’accroissement de l’indépendance des gouvernés.

Ces causes produisent relativement peu d’effet lorsque les individus vivent épars. Dans les districts ruraux, l’autorité des supérieurs politiques s’affaiblit relativement avec lenteur. Même après que la paix est devenue habituelle et que les chefs locaux ont perdu leur caractère demi-sacré, des traditions capables d’inspirer le respect s’attachent à leur personne : ils ne sont ni de même chair ni de même sang que les autres. La richesse qui, durant de longues périodes, distingue exclusivement le noble, lui donne à la fois le pouvoir réel et celui qui naît du faste. Il demeure pour ses inférieurs pendant longtemps le modèle solitaire d’un grand homme, modèle fixé exactement ou approximativement comme les grades de ces inférieurs le sont à l’époque où la locomotion est difficile : d’autres