Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
revue philosophique

l’avons fait encore dans quelle partie de la structure politique primitive le corps représentatif ainsi compris prend naissance. À cette question, les chapitres précédents ont fait une réponse tacite. En effet, si, à l’occasion de délibérations publiques, la horde primitive se divise spontanément en deux groupes, la masse des inférieurs et l’élite des supérieurs, parmi lesquels quelque individu possède une influence suprême, et si, par la suite des compositions et recompositions de groupes sociaux que produit la guerre, le che militaire reconnu se transforme en un roi, tandis que l’élite des supérieurs se transforme en un corps consultatif formé des chefs militaires du second ordre, il en résulte que tout tiers pouvoir politique coordonné doit être ou la masse des inférieurs eux-mêmes, ou quelque autre organe agissant en son nom. Cette proposition peut paraître une banalité il est nécessaire de la poser, puisque, avant de rechercher les circonstances sous lesquelles le développement d’un système représentatif suit celui de la puissance populaire, il faut reconnaître la relation qui les unit.

La masse des gens du commun, qui conserve une suprématie latente dans les sociétés qui ne sont pas encore organisées politiquement, quoiqu’elle passe sous un régime de contrainte à mesure que la guerre établit l’assujettissement et que la conquête produit des différenciations de classes, a de la tendance, quand l’occasion le permet, à relever son pouvoir. Les sentiments et les croyances organisés et transmis, qui, durant certaines périodes de l’évolution sociale, poussent le grand nombre à se soumettre au petit nombre, se trouvent dans certaines circonstances contrariés par d’autres sentiments et d’autres croyances. Nous y avons fait en divers endroits plusieurs allusions. Ici, nous devons les examiner l’un après l’autre et plus longuement.

Nous avons reconnu que l’un des facteurs du développement du groupe patriarcal durant la période pastorale, c’est l’influence de la guerre en faveur de la subordination au chef du groupe, puisqu’on a vu sans cesse survivre les groupes dans lesquels la subordination était le plus grand. S’il en est ainsi, une conséquence en découle c’est que, réciproquement, la cessation de la guerre tend à diminuer la subordination. Entre membres de la famille composée, vivant primitivement ensemble et combattant ensemble, le lien se relâche à mesure qu’ils ont moins souvent à coopérer pour se défendre en commun sous les ordres de leur chef. Par suite, plus l’État est pacifique, plus les divisions toujours plus nombreuses composant la gens, la phratrie, la tribu, deviennent indépendantes. Avec le progrès de la vie industrielle, une plus grande liberté d’action prend naissance,