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Outre l’élection expresse, on trouve chez les peuples grossiers l’élection par le sort. Les Samoans, par exemple, dévident une noix de coco qui finit par s’arrêter dans son mouvement et montre une des personnes environnantes, et par là la signale entre toutes. Nous trouvons des exemples de la désignation parle sort chez les races historiques primitives, chez les Hébreux par exemple, dans le cas de Saül et de Jonathan, et chez les Grecs d’Homère, quand il s’agit de désigner un champion pour combattre Hector. Dans ces deux cas, il existait une croyance à une intervention surnaturelle : on supposait que le sort était déterminé par une volonté divine. Il est probable qu’au début des croyances analogues étaient pour beaucoup dans l’usage de confier le choix au sort dans les affaires politiques chez les Athéniens, et dans les affaires militaires chez les Romains, comme aussi, dans les temps plus récents, le choix des envoyés dans certaines républiques italiennes et en Espagne, par exemple dans le royaume de Léon au xiie siècle. Seulement il n’est pas douteux que le désir de donner des chances égales aux riches et aux pauvres, ou encore d’assigner sans débat une mission onéreuse ou périlleuse, ne fût un motif déterminant ou même prépondérant de préférer la voie du sort. Mais ce qu’il faut noter, c’est que cette manière d’élire qui joue un rôle dans la représentation, peut être retrouvée dans les usages des peuples primitifs.

Voilà l’ébauche de la procédure de la délégation. Des groupes d’hommes qui ouvrent des négociations, où qui font leur soumission, ou qui envoient un tribut, nomment d’ordinaire quelques-uns d’entre eux pour agir en leur nom. La méthode est en pareil cas obligée, puisqu’une tribu ne peut faire ces actes en corps. Il paraît donc que la nomination des représentants est, dès les premiers temps, l’effet de causes semblables à celles qui le reproduisent à une époque plus récente. En effet, de même que la volonté de la tribu, aisément manifestée dans ses assemblées à ses propres membres, ne peut se manifester de la même manière aux autres tribus, mais qu’elle doit, dans les affaires qui intéressent plusieurs tribus, être communiquée par le moyen de délégués, de même, dans une grande nation, les gens de chaque localité, capables de se gouverner eux-mêmes sur place, mais incapables de se joindre aux gens des localités éloignées pour délibérer sur des affaires qui les concernent tous, sont obligés d’envoyer une ou plusieurs personnes pour exprimer leur volonté. La distance dans les deux cas transforme l’expression directe de la voix du peuple en une expression indirecte.

Avant d’examiner les conditions dans lesquelles cette désignation de gens d’une façon ou d’une autre pour des fonctions déterminées