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humain que celle qui les oblige eux-mêmes de généraliser dans le domaine d’une science spéciale et de concevoir une idée générale et une loi commune pour plusieurs faits particuliers, c’est toujours la même nécessité, qu’on s’efforce en vain de dissimuler, qui oblige l’homme à généraliser dans le domaine de la science universelle et à concevoir un seul principe, ou du moins un ensemble de principes universels pour tous les résultats des sciences spéciales. Car la métaphysique n’est que la science qui s’occupe de ces principes universels. » Il est à remarquer que cette définition de la métaphysique n’est pas en accord avec le passage que je viens de citer. Resterait donc à savoir d’abord si la nécessité qui pousse l’homme à la métaphysique est éternelle, (le fétichisme n’a-t-il pas été lui aussi une nécessité de l’esprit humain ?), ensuite s’il n’est pas possible ou s’il ne sera pas possible un jour de généraliser dans la science générale, sans entrer dans un domaine « complètement abandonné à l’imagination ».

Il serait peut-être injuste de demander à un ouvrage qui est surtout historique une doctrine bien arrêtée, bien nette et parfaitement homogène. Je n’insiste donc pas sur ce qui précède. Mais M. Conta gagnerait, je crois, à critiquer ses théories sur la métaphysique et sa métaphysique elle-même, si c’est, comme il y a lieu de le croire, sa propre métaphysique qu’il désigne par le titre de métaphysique matérialiste. Voici un passage intéressant dans lequel il identifie presque le matérialisme et le spiritualisme. Si cette identification est fondée et existe réellement, comme la comprend M. Conta, c’est peut-être fâcheux pour les deux systèmes. « Il résulte de ces argumentations, entre autres, que les matérialistes, aussi bien que les spiritualistes de toutes les écoles, considèrent la perception de la force matérielle, qui est le principe universel pour les premiers, comme étant diamétralement opposée à la conception de l’esprit, qui est le principe universel pour les derniers. Pourtant la force pour les matérialistes, aussi bien que l’esprit pour les spiritualistes, représente la cause première des choses, le dernier point auquel sont arrivées les recherches de l’homme, ce quelque chose enfin qui ne peut plus être analysé, mais qui doit être admis purement et simplement dans la science à titre d’article de foi. La même difficulté qu’éprouve le matérialiste à définir-la force, le spiritualisme l’éprouve aussi quand il veut définir l’esprit. Il y a mieux. Le matérialiste se figure, en fin de compte, la force à peu près de la même manière que le spiritualiste le plus avancé se figure ce qu’il appelle la substance spirituelle. Tout cela tend à prouver que la différence qui existe entre le matérialisme et le spiritualisme en général n’est pas aussi radicale que les partisans respectifs de ces systèmes le croient, et que la lutte si ardente entre ces adversaires est à peine un peu plus qu’une querelle de mots, »

Le principal reproche qu’on peut faire au livre de M. Conta, c’est d’être trop court ; l’auteur affirme beaucoup plus qu’il ne discute et beaucoup plus qu’il ne prouve. Ses démonstrations, quand il en présente,