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ANALYSES. — J. P. MAHAFFY. Descartes.

fut sans doute en sa qualité de gentilhomme français un conservateur décidé à philosopher en dehors de la politique et de la religion, et à rendre à César et à Dieu ce qui leur appartenait. Mais de même qu’il n’en refusa pas moins de vivre sous la sujétion de son roi, il s’émancipa lui-même de toute obligation à l’égard de la religion, hormis d’un respect formel et de cette déférence loyale qu’on peut avoir pour une institution utile à la société. Son langage à Mlle Schurmann montre qu’il n’avait aucune foi dans l’inspiration des Écritures et qu’il n’adhérait au récit mosaïque de la création que parce qu’il était soutenu par l’Église. Mais, dans le fond de son cœur, il doit avoir tenu tout cela pour faux. Évidemment, il n’était pas athée. Son système tout entier présupposait non pas un créateur, mais un ordonnateur du monde, qui mit l’ensemble de l’univers en mouvement. Mais lorsqu’il laisse échapper dans une lettre cette remarque que la divinité, dont il démontrait l’existence avec tant de zèle, pouvait être identifiée avec l’ordre de la nature, nous sentons bien qu’il ne demandait pas pour sa philosophie une base théologique plus large que les darwinistes contemporains. »

Dans son appréciation des doctrines morales de Descartes, M. Mahaffy remarque que nulle part il n’y est question des vertus chrétiennes ni du nouvel idéal et du nouveau but donnés à la vie humaine par l’Église chrétienne ; et voici la conclusion qu’il en tire : « Descartes n’était pas un chrétien, un vrai fils de l’Église, mais dans le fond de son âme un sceptique qui n’accordait aucune foi aux vérités révélées. Athée, il ne le fut en aucun sens. Sa doctrine de la création el de la conservation perpétuelle de l’univers exigeait un dieu comme gouverneur et ordonnateur du monde… Mais quand il insinue qu’on pourrait faire une science des miracles qui étonnerait le vulgaire par une nouvelle et curieuse application des forces naturelles, par exemple des lois de la lumière, nous voyons avec quel esprit il envisageait ce dogme si important de la foi chrétienne… Ses contemporains ne se trompèrent pas à ces indices ; longtemps après sa mort, ses disciples orthodoxes cherchèrent dans les témoignages de la reine de Suède, de son confesseur, de ses amis, des preuves réitérées d’un fait qu’il n’avait jamais nié lui-même, à savoir qu’il vécut et mourut en parfait catholique. Mais l’évidence de son système et de sa façon habituelle de penser les accable et prouve que leur inquiétude n’était que trop bien fondée. »

L’exposition de la philosophie de Descartes est nécessairement un peu superficielle, à cause de sa brièveté même. Elle comprend les points suivants : 1o La Méthode, Existence de Dieu. — 2o Système de physique. — 3o Psychologie. Les idées innées. La Nature de l’Erreur. — 4o Anthropologie. L’automatisme des bêtes. — 5o Les Passions. Théories morales. Un appendice apprécie les découvertes et la méthode de Descartes dans les sciences proprement dites.

L’exposé de la méthode cartésienne est fait en grande partie d’après les Règles pour la direction de l’esprit plus encore que d’après le