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Ainsi il remarque combien Descartes ressemblait peu à ses parents, surtout à ses frères du premier et du second lit. « Nouvel exemple, dit-il, de cette loi mystérieuse de la production du génie qui dans une suite d’enfants ordinaires, nés de parents ordinaires, en choisit un de préférence à tous les autres et fait que nous nous demandons avec étonnement quelle subtile combinaison, quelle variation momentanée dans les conditions physiques peut produire un si merveilleux résultat. Peu importe, à ce qu’il semble, qu’il soit l’ainé, le plus jeune, ou l’un des intermédiaires : la force ou la faiblesse physique de l’enfant, l’intelligence ou la profession des parents ne semblent pas moins indifférentes. Les rois intellectuels du monde sont, « comme Melchisédech, sans père, sans mère, sans descendance, » apparaissant soudainement, mystérieusement, pour être les bienfaiteurs de l’espèce humaine. La découverte de ce secret pourrait sans doute changer l’histoire future de l’humanité. Pour le moment, force nous est d’attendre qu’un aveugle accident, ou du moins ce qui nous paraît tel, engendre un génie comme Descartes, Newton, ou Kant. »

M. Mahaffy, dans plusieurs passages de sa biographie, soulève une question assez délicate et qu’il est bien difficile de résoudre avec certitude, celle des véritables sentiments de Descartes à l’égard des croyances religieuses. « Nous savons qu’il professa l’orthodoxie toute sa vie et qu’il mourut dans le sein de l’Église, recevant tous ses sacrements. Son désir était de tenir les questions de science séparées des questions de foi et de ne jamais entrer er conflit avec la religion. Mais, quand le conflit se produisait, de quel côté était-il réellement ? Et, dans le fond de son cœur, son humble soumission était-elle une règle de convenance dictée par la crainte des : ennuis, un sentiment d’indifférence et peut-être de dédain ? Ou était-ce la vraie soumission d’un esprit dévot, qui pensait réellement que les vérités de la révélation étaient complètement séparées des vérités de la science ? Non sans avoir longtemps hésité sur cette question, nous penchons à donner une réponse différente de celle qu’ont donnée ses biographes. » Cette réponse, il la donne plus explicitement en deux passages, dont l’un se rapporte à son caractère et l’autre à ses doctrines morales, « Il fut souvent consulté sur des cas de conscience par des esprits troublés dans cet âge de confusion théologique, et il semble avoir toujours recommandé la fidélité à la tradition et dissuadé tout changement de religion comme une cause de trouble pour la paix de l’âme, sans aucune utilité pour l’avenir. Les histoires mises en circulation par les cartésiens sur l’autorité de la reine de Suède, d’après lesquelles il aurait contribué à sa conversion, sont évidemment inventées pour protéger sa mémoire contre l’accusation d’indifférence ou même de scepticisme en matière de religion. Pourtant cette accusation, bien qu’énergiquement repoussée par lui, et dans de nombreux pamphlets par ses disciples, est trop solidement appuyée par son système et par la manière d’être de son esprit à l’égard de la théologie, pour qu’elle soit jamais abandonnée. Il