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ANALYSES. — J. P. MAHAFFY. Descartes.

cartes, d’une admiration impartiale et franche pour son génie et pour son œuvre, d’une vive et sincère sympathie pour l’esprit français.

Dans une remarquable introduction, sans prétendre que la révolution philosophique ait été l’antécédent et la cause de ce grand changement qui a substitué le monde moderne au monde du moyen âge, il déclare du moins expressément qu’elle date « de la publication du Discours de la méthode en 1637 ».

« Des lecteurs anglais, dit-il, s’imagineront peut-être que je fais tort à Bacon et soutiendront qu’il fut le véritable père de la révolution. Mais quiconque prendra la peine d’étudier l’histoire de la philosophie, même en Angleterre, verra combien fut vague et imperceptible l’influence de la splendide rhétorique de Bacon sur la réforme des sciences. Il échoua partout dans ses applications pratiques ; ses méthodes de recherche ne consistaient guère qu’en une sagacité bien ordonnée, fondée sur le mépris des autorités du moyen âge, et, avec toute sa richesse d’idées, nous ne voyons pas qu’il ait réussi soit à créer une école nouvelle, soit à influer après lui sur l’histoire de la pensée. Combien différente est l’histoire de l’œuvre de Descartes ! Sa méthode se produisit avec un brillant cortège de découvertes mathématiques, apportant la solution de problèmes supérieurs à la portée des esprits ordinaires. Même quand ses théories furent fausses, il montra la vraie lumière qui permit à d’autres de les corriger. Par là, il créa d’un seul coup une école définie, portant son nom et le reconnaissant expressément comme son maitre. Le siècle suivant en philosophe ne fut plus que la lutte des cartésiens et des anti-cartésiens, le développement de sa doctrine dans le sens soit de l’idéalisme, soit du panthéisme, soit du scepticisme ; où sa réfutation par le sensualisme. Et tout cela est si étroitement attaché à son nom et sort si clairement de sa doctrine que ses partisans et ses adversaires le reconnaissent avec une égale bonne foi. Donc, tandis que personne à cette époque ne s’intitule baconien et ne fait plus que de citer avec éloge les splendides aphorismes da grand chancelier, toute spéculation systématique fait profession de dériver de Descartes… Par conséquent, rendre compte de la fortune du système cartésien, c’est écrire l’histoire de la pensée spéculative à travers le XVIIe siècle tout entier, vaste entreprise, qui a occupé et qui occupera souvent encore les historiens de la philosophie. Naturellement, les Français ont fait beaucoup de travaux sur cette époque ; et parmi leurs nombreuses monographies, écrites avec la grâce et la clarté qui sont le don particulier de cette nation, le récent essai de A. Bouillet (sic) est regardé comme le meilleur. » Mais notre auteur ne pourra parler que de la vie de Descartes et de ses écrits, Il se plaint d’ailleurs que l’on n’ait pas encore publié une édition vraiment complète et satisfaisante des œuvres de Descartes.

La vie du philosophe est racontée en partie d’après ses écrits, en partie d’après Baillet. Elle emplit un peu plus de la moitié du volume. Les réflexions qu’elle suggère à M. Mahally ne manquent pas d’intérêt.