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l’existence doit être pour lui une catégorie, et d’un autre côté, comme position des choses, elle ne saurait en être un attribut. Les faits font violence au système ; la réalité du moi est posée par le fait même de la conscience. Mais Kant pouvait-il le reconnaître ?

Du moi logique au moi transcendantal, le passage est assez simple. Celui-là n’est qu’une pensée comme les autres, et sous cette pensée comme sous toute pensée est un x, dont on n’a aucun concept et qui est le sujet transcendental, puisqu’en lui seulement sont possibles les pensées ou représentations reliées par des lois. Le moi logique est uniquement un nom de ce moi transcendantal. Jusque-là, il y a parallélisme entre le moi transcendantal et l’objet transcendantal ; mais les différences éclatent aussitôt. L’existence du moi transcendantal n’est sujet le à aucun doute, résulte avec évidence de la seule position logique du moi, ou de l’existence du moi-phénomène ; à l’égard de l’objet transcendantal, le résultat de la déduction permet de douter s’il est. De plus, l’objet transcendantal est « cause » (Ursache), par opposition à la catégorie de la causalité ; le moi transcendantal est « sujet réel d’inhérence » par opposition à la catégorie de la substance. Or on pourra bien avoir plus tard une notion positive de l’’Ursachsein ; mais qu’est-ce qu’être « sujet réel » ? C’est ce dont on ne peut avoir qu’une notion négative.

La conclusion de la psychologie transcendantale est criticiste, comme celles de l’esthétique et de l’analytique. Les objets existent-ils ? Au sens d’objet transcendantal, il convient, répond Kant, de ne pas s’en occuper : impossible de savoir ce qu’ils sont indépendamment des sens. Ce qui établit d’abord la limitation de notre connaissance à l’expérience, ensuite la réalité des objets en soi, laquelle se conclut immédiatement et implicitement de la réalité du phénomène extérieur. L’opposition de la doctrine avec le dogmatisme est nettement tranchée ; quant à son accord avec le scepticisme (Locke, Hume), il est trop évident pour que Kant ait besoin de le signaler.

Une particularité importante à noter c’est qu’ici (4e paral.) Kant n’appelle pas sa propre doctrine criticisme, mais « idéalisme-transcendantal », par opposition à l’idéalisme sceptique et à l’idéalisme dogmatique. Cet idéalisme, celui de Kant, reconnaît la réalité des phénomènes comme représentations ; il les nie comme choses en soi, eux, et le temps, et l’espace. Preuve nouvelle que le centre de gravité de toute la doctrine kantienne, c’est la conclusion de l’esthétique. Mais, demandera-t-on, pourquoi Kant, aussi bien ici que dans la cosmologie, prend-il pour caractéristique de sa doctrine la conclusion de l’esthétique au lieu du résultat de la déduction ? C’est que cette conclusion même est la base de la déduction : seule elle permet, sous la condition que nous n’ayons affaire qu’aux phénomènes, d’établir que la déduction est possible. Or cette pensée fondamentale : Les choses ne sont pas ce qu’elles nous apparaissent, peut prendre deux formes. Une première, purement criticiste (celle qui sert de base à la déduction) : « Notre connaissance ne touche que les phénomènes. » Une autre, tout idéa-