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forcé plus tard de définir le corrélatif de la causalité empirique de manière qu’il puisse être appliqué aux choses en soi, tandis que, du point de vue de l’existence, le corrélatif n’a pas besoin d’être précisé ni même cherché. Seule des catégories, par le privilège de son indétermination, la catégorie de l’existence est et peut être transportée aux choses en soi.

La dialectique transcendantal, ce coup de grâce porté à la métaphysique wolfienne dans sa triple incarnation, la psychologie, la cosmologie et la théologie rationnelles, ne fait que développer les conséquences de l’analytique. Chose à remarquer, elle n’entrait point dans le plan de l’ouvrage de 1778, tel que Kant l’avait conçu d’abord. Toutefois si, au point de vue critique, cette partie de l’œuvre perd une partie de sa saveur et de son originalité, les conceptions qu’elle laisse transparaitre en font le document le plus instructif sur les idées métaphysiques de Kant, dans la mesure où il se les avouait à lui-même en 1781.

La critique de la psychologie rationnelle mérite une attention toute spéciale. Les vues de Kant sur la nature du sens intime comparé au sens extérieur sont celles de la psychologie courante, des éclectiques : un an avant d’achever sa Critique, Kant lisait attentivement le livre de Tetens, Philosophische Versuche über die menschliche Natur (paru en 1777). Il admet ainsi la parfaite analogie des deux sens ; d’où il suit que le sens intime aura, comme l’autre, son objet phénomène et son objet en soi. De celui-ci il recevra ses modifications, lesquelles seulement viendront de l’âme même, non du dehors. Kant ici ne remarque point que le sens intime n’offre pas les mêmes raisons de conclure à un objet en soi que le sens extérieur : celui-ci présente un multiple propre ; le sens intime, qui n’a rien d’équivalent, ne fait qu’appréhender ce multiple et l’ordonner.

La question capitale de ce chapitre de la dialectique au point de vue de la rigueur du système, c’est de déterminer le rapport du moi empirique et du moi logique d’abord, puis du moi logique et du moi transcendantal, L’analytique, pour expliquer la possibilité de l’expérience, introduisait deux facultés nouvelles, l’imagination et l’aperception. Or on peut les considérer empiriquement comme appliquées à des phénomènes donnés, ou transcendantalement, en tant que rendant possible cet usage empirique. L’aperception donc, c’est, empiriquement parlant, la conscience de l’identité entre les représentations et les phénomènes qui les ont fournis, c’est-à-dire la conscience du moi dans ses déterminations par le sens intime ; et, transcendantalement parlant, le principe de l’unité de la conscience dans la synthèse du multiple en toute perception. Donc deux séries de moi : dans l’esthétique, moi-phénomène et moi en soi ; dans l’analytique, moi empirique et moi transcendantal, De même, pour le sens extérieur : en esthétique, l’objet-phénomène et l’objet en soi ; en analytique, l’objet empirique et l’objet transcendantal. Peut-être le parallélisme n’est-il point parfait, mais Kant le croit tel, ou est impuissant à le préciser davantage ; passons.