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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant’s Kriticismus.

lentes : 1o elles sont les unes et les autres indépendantes de la sensibilité ; 2o elles échappent à toute détermination par les catégories ; 3o en face d’elles, l’entendement ne peut être employé que transcendantalement, et cet emploi ne conduit à aucune connaissance proprement dite. On comprend dès lors comment les formes de l’entendement, à l’état pur, tout en n’ayant nul rapport aux choses, peuvent servir à penser la chose en soi. La limitation de la sensibilité par l’entendement résulte de ces deux principes : il y a des choses en soi et efficientes, et les catégories n’ont qu’un usage empirique,

Les choses en soi existent donc et sont causes de nos phénomènes. Là même git une difficulté grave ; car on vient de dire que les choses en soi ne peuvent être conçues sous aucune catégorie, pas plus sous celles d’existence et de causalité que sous aucune autre, Et voilà que dans une même phrase Kant écrit : « La chose en soi est cause des phénomènes,… et ne peut être soumise à aucune catégorie. » C’est nécessairement, à moins d’admettre une contradiction flagrante, qu’il s’agit ici d’un corrélatif transcendant de la causalité (Ursachsein), la causalité intelligible, dont il sera parlé plus tard.

Pour leur « existence », comment est-elle établie ? Kant la conclut du concept même de phénomènes ou représentations qui ne peuvent exister en soi ; donc, manifestement, il transporte la catégorie d’existence des phénomènes à la chose en soi. Ce raisonnement est d’ailleurs, on l’a souvent remarqué, un diallèle ; car le concept de phénomène est établi dans l’esthétique à l’aide de la notion de chose en soi, Il y aurait faute grossière, s’il fallait voir là une preuve ; en réalité ce n’est qu’un semblant de preuve, indiqué au hasard. Comment imputer à l’auteur de la Critique une contradiction aussi choquante que celle-ci : 1o Toute connaissance, et la notion de réalité comme les autres, est limitée à l’expérience. 2o Il existe réellement des choses en soi, causes inconnaissables de l’expérience. L’existence des choses eu soi, répétons-le avec Benno Erdmann, a pour Kant la valeur d’un postulat évident. « Il transporte la catégorie de la réalité aux choses en soi, sans s’apercevoir de la contradiction où il s’engage, parce qu’il ne lui est jamais venu à l’esprit de douter de cette existence. » C’est là une première raison ; mais il y en à une seconde, intrinsèque, tirée de la nature même des catégories. La catégorie de la réalité a en effet une situation à part entre les autres. Elle se distingue de toutes, hormis celle de la causalité, en ce que sans elle ce serait un non-sens d’admettre des choses comme causes des phénomènes, puisqu’en même temps on en nierait la possibilité. Et de plus, si l’on met à part la possibilité et la nécessité, elle se distingue encore des autres catégories en ce qu’elle ne donne rien du contenu des choses. Pour ce qui regarde la Possibilité et la Nécessité elles-mêmes, elle n’en diffère pas moins : celles-là en effet n’ont de sens que par rapport à une réalité déjà donnée, ce qui n’est point le cas de celle-ci. La causalité, pareillement, détermine le contenu des choses, et voilà pourquoi, soit dit en passant, Kant sera