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sibilité d’atteindre les choses en soi. Mais cet objet n’est donné ni à l’entendement ni à l’intuition : aucune détermination phénoménale, nulle catégorie ne lui convient, C’est donc un X dont on ne peut rien Savoir ; c’est un concept-limite. Il y a plus : c’est un concept problématique, car d’en démontrer la possibilité réelle, ce serait affaire à l’expérience, qui y est impuissante. Remarquons encore que cet objet transcendantal, c’est la pensée de quelque chose en général ; que d’autre part la catégorie, considérée purement, c’est la pensée d’une chose en général selon les divers modes du jugement : de sorte que la chose en général de la catégorie pure est identique à l’objet transcendantal. Le noumène est objet d’entendement pur, et l’entendement ne peut dépasser en réalité les objets de l’expérience. La conclusion critique reparait donc, avec plus de force que jamais : il n’y a d’objets de connaissance pour nous que les phénomènes, bien que le noumène reste possible comme objet d’entendement pur, ou, selon l’amphibolie des concepts de réflexion, comme objet d’une intuition intellectuelle, différente de notre intuition sensible. De part et d’autre, la pensée de Kant, c’est que notre sensibilité n’atteint pas tout, donc n’est pas la seule manière de connaître possible (absolument).

Le rapprochement de l’esthétique et de l’analytique démontre-t-il, comme l’ont cru de nombreux historiens, l’idéalisme de la doctrine ? En aucune façon. L’esthétique disait : Il y a des limites impliquées dans l’intuition sensible. L’analytique dit : C’est la chose en soi qui est la limite. Mais si c’est l’entendement qui limite la sensibilité, sa chose en soi devra être, semble-t-il, le principe de cet enchainement causal des faits que la sensibilité subit. De plus, le rapport de toute connaissance à l’objet transcendantal est le même qu’à l’unité de l’aperception ; le rapport des catégories à la chose en soi, le même que leur rapport à la chose en général ; cela se substitue. Enfin Kant dit : L’entendement se forme un objet transcendantal, c’est-à-dire supérieur aux catégories, et dont on ne peut dès lors dire si, la sensibilité disparaissant, il resterait où non. Idéalisme, conclut-on : l’expression de choses en soi n’est dans la pensée de Kant qu’une manière de parler, une concession faite à la langue philosophique vulgaire. M. B. Erdmann (et le reste de son admirable travail ne fera que confirmer cette thèse) : établit au contraire que l’existence des choses en soi a été constamment indubitable pour Kant, L’interprétation opposée serait le renversement de la doctrine. D’abord, Kant le déclare formellement, la déduction des catégories repose tout entière sur le résultat de l’esthétique, que nous n’atteignons pas les choses en soi, mais les phénomènes. L’esthétique à son tour repose sur ce principe non exprimé, mais pris pour évident, que les choses en soi existent et sont les causes efficientes de nos représentations : qu’on se rappelle les deux sens du mot « objet ». Comparez maintenant les choses eh général objet de l’entendement pur, avec les choses en soi, et vous verrez pourquoi elles peuvent être regardées comme deux notions équiva-