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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant’s Kriticismus.

des concepts purs de l’entendement à des jugements synthétiques est possible. Mais leur possibilité même, comment s’explique-t-elle ? Pour les principes mathématiques (axiomes et anticipations), ils touchent aux conditions nécessaires de toute intuition, el ainsi ils peuvent construire celle-ci à priori : leur certitude est parfaite, intuitive. Les principes dynamiques (analogies et postulats) touchent aux rapports des objets d’expérience, donc ne peuvent être déterminés à priori, et leur certitude est simplement discursive. À côté de cette remarque générale faite par Kant lui-même, il y en à une autre, bonne à noter : c’est que pour les principes de causalité et d’action réciproque la preuve proposée est spéciale. Ici reparait l’idée de l’objet en général, de l’objet en soi : le seul rapport qu’il y ait entre nos représentations et cet objet a pour effet de rendre nécessaire, soumise à des règles, la liaison des représentations. C’est la seule différence entre la succession du multiple dans la synthèse de l’appréhension et la liaison causale des choses : « le rapport à un objet ». « Ce rapport rend nécessaire la liaison des représentations dans un certain sens et les soumet à une règle ; et réciproquement elles n’acquièrent une valeur objective que parce qu’un certain ordre est nécessaire entre elles sous le rapport du temps. » La nécessité, même empiriquement constatée, fait l’objectivité, non par sa vertu propre, mais parce que le déterminisme empirique des phénomènes est le signe révélateur d’un déterminisme bien plus profond, plus inéluctable, le déterminisme transcendantal de la pensée. Il est indifférent au temps successif, forme à priori du sens interne, d’avoir pour matière les phénomènes ordonnés en rapports, séries, groupes, où confus et pêle-mêle ; mais cela n’est pas égal pour l’unité complète de la conscience de soi-même. « Nos perceptions n’appartiendraient plus alors à aucune expérience ; elles seraient par conséquent sans objet et ne seraient qu’un jeu aveugle de représentations, c’est-à-dire moins qu’un songe. » Or ne sait-on pas que l’unité objective représentée par la chose en soi est le prête-nom ordinaire de l’unité subjective de l’aperception, forme la plus universelle de toute expérience ?

Cette triple déduction sur le système des catégories, leur rapport exclusif à l’expérience possible, leur union avec le multiple dans chaque expérience, entraine une distinction de conséquence : celle de tous les objets en « phénomènes et noumènes ». Impossible d’appliquer les catégories aux choses en soi, donc de faire une ontologie ; « a la place, il faut mettre une simple analytique de l’entendement pur. »

Reste à préciser l’idée de l’objet transcendantal dont la métaphysique pourrait être tentée d’abuser. Les phénomènes n’étant pas en soi, hors de notre représentation, il faut bien les rapporter à un objet transcendantal. Logiquement, la conception de cet objet est possible : elle signifie simplement la limitation et la relativité de notre sensibilité. Elle est de plus nécessaire, car elle arrête la prétention de notre sen-