Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant’s Kriticismus.

quelque enchevêtrement (voy. B. Erdmann, page 25, note). Dans sa préface, Kant la divise en deux parties, déduction subjective et déduction objective ; mais cette division, visiblement faite après coup, ne doit point nous arrêter. Le mieux est de reconstruire l’ensemble avec les éléments principaux qu’on y retrouve. La possibilité de l’expérience dérive de trois sources de connaissance : sens, imagination, aperception. L’analyse des sens a prouvé que l’objet de l’expérience est une pure représentation des choses : « Les phénomènes ne sont pas des choses en soi, mais le simple jeu de nos représentations, lesquelles reviennent en définitive aux déterminations du sens intime. » Maintenant, le multiple successif, qui est la matière donnée, a besoin d’être synthétisé par l’imagination : celle-ci le parcourt, et c’est l’appréhension, laquelle constitue une représentation ; et, comme elle doit être aussi pratiquée à priori (pour les représentations d’espace et de temps), il y a une synthèse pure de l’appréhension. Allons plus loin : cette synthèse de l’appréhension (pure ou empirique) n’est possible qu’à la condition de relier les éléments antérieurs aux subséquents suivant une règle constante, ce qui exige la reproduction des premiers à chaque pas en avant, et il en résulte une association régulière des représentations, mais qui doit de plus être nécessaire. Car, « si l’unité de la synthèse opérée d’après des concepts empiriques était tout à fait contingente, il serait possible qu’une foule de phénomènes remplit notre âme : aucune expérience n’en sortirait jamais. » Comment donc cette unité synthétique et complète des phénomènes — appelée l’expérience — devient-elle à la fois possible et nécessaire ? C’est qu’il y a une affinité des phénomènes, et elle consiste en ceci : dans l’acte de la « reproduction », il faut que je reconnaisse chaque élément du multiple pour identique à celui que j’ai pensé tout à l’heure, comme dans une addition d’éléments numériques. C’est en un mot l’unité de la fonction, l’unité de la conscience (non empirique, mais pure), ou pour parler la langue nouvelle « l’unité transcendantale de l’aperception », qui fait la possibilité et la nécessité de chaque expérience particulière, de l’expérience en général. Or, par rapport à la synthèse empirique de l’’imagination reproductive, l’unité de l’aperception — d’où résulte une représentation — s’appelle entendement ; par rapport à la synthèse transcendantale de l’imagination, condition pure et à priori de toute l’expérience possible, cette même unité est l’entendement pur. « Il y a donc dans l’entendement des connaissances pures à priori qui contiennent l’unité nécessaire de la synthèse pure de l’imagination relativement à tous les phénomènes possibles, » et ce sont les catégories, ou les concepts fondamentaux qui permettent de faire avec les phénomènes des objets.

À cette explication tout idéaliste, Kant prévoit une objection de la part des réalistes dogmatiques ou des sceptiques. Les phénomènes n’étant rien que nos représentations sensibles, comment se fait-il que nous rapportions les objets empiriques (die Gegenstände unserer Sinne) à un