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que les préceptes. « On connaît, disait récemment un ingénieux moraliste, le système de ces pères, de ces mères, de ces précepteurs qui s’imaginent que dans l’éducation les gronderies seules sont efficaces, qu’on ne forme, qu’on ne pétrit une jeune âme qu’avec des sentences… À supposer que cette éducation soit bonne, est-elle la seule ? N’arrive-t-il pas que des enfants profitent davantage à vivre avec un honnête homme, qui vit noblement, n’exprime que de justes sentiments, qui par ses discours, ses exemples répand autour de lui une influence bienfaisante, sans avoir jamais recours au langage des moralistes[1]. »

Mais l’influence de l’éducation n’exclut pas l’action de la nature et serait même incompréhensible sans elle. Sur ce point, la doctrine de M. Perez nous paraît en défaut. Il accorde bien que l’enfant apporte avec lui des germes héréditaires, mais il incline à croire que ces dispositions sont par elles-mêmes « indifférentes ». Il est difficile d’être de cet avis. Sans doute le bien n’est d’abord pour l’enfant que ce qui est ordonné ; le mal, ce qui est défendu par les parents. Mais l’enfant ne serait pas aussi disposé qu’il l’est à se courber, malgré ses petites rébellions passagères, devant l’autorité paternelle, s’il ne soupçonnait pas déjà, par une sorte d’instinct secret, dans la volonté individuelle du père, la loi universelle du devoir, s’il ne comprenait pas à demi que les ordres paternels et maternels se doublent, pour ainsi dire, d’une autorité morale. L’erreur de ceux qui, comme M. Perez, contestent l’innéité ou l’hérédité dans la conscience morale, provient de leur disposition à ne considérer comme inné que ce qui apparaît à la première heure de la vie. Dira-t-on qu’il n’est pas naturel à la plante de fleurir, parce que les fleurs ne se montrent sur la tige qu’à un certain moment de son évolution ? La raison pratique, pas plus que la raison théorique, ne saurait être le résultat de la seule expérience de l’enfant et, comme le dit un peu obscurément M. Perez, « la théorie de ses actes ». Les appels de l’éducation morale ne seraient pas entendus, comme ils le sont, s’ils ne rencontraient pas dans le naturel de l’enfant un instinct inconscient et endormi qu’il s’agit seulement d’éclairer et d’éveiller.

Par l’analyse qui précède, nous ne prétendons pas avoir donné une idée complète d’un livre qui vaut surtout par les particularités. C’est un recueil précieux de petits faits, de miettes psychologiques, si je puis dire. Les gros morceaux de théorie y sont rares. Le style en est intéressant et pittoresque, quoique pas très pur, et empreint d’une certaine mièvrerie, comme il arrive d’ordinaire à ceux qui écrivent sur l’enfant. On ne peut qu’encourager M. Perez à continuer l’œuvre entreprise, Il rendra surtout de réels services à la psychologie, à l’embryologie morale de l’homme, Nous craignons seulement qu’il n’ait adopté un plan défectieux en isolant arbitrairement les questions d’éducation morale chez le petit enfant, en les séparent de l’instruction et du développement intellectuel. Dans l’Éducation dans le berceau, il est question de sensibilité,

  1. M. Martha, Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1879, p. 858.