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ANALYSES. — B. PEREZ. L’éducation dès le berceau.

utile. Après avoir trop négligé la psychologie de l’enfant, les pédagogues ne vont-ils pas tomber dans un excès contraire, s’ils notent parle menu tous les infiniment petits de la conscience enfantine ?

L’imitation est pourtant un sujet qui méritait d’être traité avec les développements que lui accorde M. Perez. On n’a pas assez dit encore tout ce que l’enfant et l’homme lui-même doivent à limitation soit instinctive, soit réfléchie. Chez l’enfant particulièrement, l’imitation est le principe essentiel de l’acquisition du langage et la source de la plupart de ses actes, Il eût été bon de faire nettement ici le départ de ce que l’enfant doit à l’hérédité et à l’instinct, ensuite à sa spontanéité propre, enfin à limitation et à l’habitude, qu’il ne faut pas hésiter à rapprocher, car elles sont l’une et l’autre, comme le disait Vinet, « deux dispositions passives, » deux obéissances, l’une qui nous assujettit à l’exemple d’autrui, l’autre qui nous lie à nos propres actes et enchaîne notre présent à notre passé.


Chapitre VII. Développement des habitudes morales et du sens moral.


Dans l’étude des commencements de l’éducation, il n’y a pas de question plus importante que celle de savoir si l’intelligence enfantine est de bonne heure capable de distinguer le bien du mal. « Le sens moral, dit M. Perez, manque à l’enfant qui vient de naître. » Etait-ce bien la peine de le dire ? Il est évident que les notions abstraites de la morale ne sont pas à la portée du nouveau-né, ni même de l’enfant de cinq ans et au delà. Il est évident que M. Darwin s’est trompé quand il a cru reconnaître le sentiment du remords chez son fils Doddy : « Doddy avait dérobé du sucre ; je le rencontrai, au moment où il sortait de la salle à manger et je lui trouvai dans l’attitude quelque chose de si étrange que cette attitude me parut devoir être attribuée à la lutte entre le plaisir de manger du sucre et un commencement de remords. » Le remords n’a rien à voir avec l’émotion et la confusion d’un enfant surpris presque en flagrant délit, qui se rappelle les défenses et les menaces de son père et qui a simplement peur d’être grondé.

Mais ce qui est plus intéressant, c’est d’étudier comment le sentiment moral, nul à l’origine, apparaît et se développe peu à peu. Nous croyons avec M. Perez que limitation et l’exemple jouent un grand rôle dans cette éducation lente de la conscience morale. La moralité de l’enfant est d’abord tout extérieure ; elle n’est pour ainsi dire que le reflet de la moralité d’autrui. « Un petit garçon de deux ans et demi changea trois ou quatre fois de caractère, selon les différentes stations qu’il fit chez des parents et des amis pendant deux mois de vacances : très obéissant, très doux, très sympathique et très gai, chez son oncle ; très maussade, mutin, querelleur, tapageur, chez sa tante ; et réservé, complaisant, silencieux, obéissant, obséquieux, chez une amie de sa mère, » (p. 272.) Les pédagogues ne sauraient trop se pénétrer de cette vérité que le sens moral, comme les autres, est provoqué par les influences extérieures, et que sous ce rapport les exemples valent mille fois mieux