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ANALYSES. — B. PEREZ. L’éducation dès le berceau.

sements de l’enfance ? La première condition d’un jeu n’est-elle pas qu’il soit amusant ?

Nous ne saurions accorder non plus à M. Perez que le mensonge soit un « vice héréditaire », presque universel chez les enfants. L’enfant qui n’a pas subi de mauvaises influences, que l’exemple n’a pas vicié, est naturellement et spontanément franc ; il ne sait pas dissimuler, Tout ce ce qu’il a sur le cœur, il le dit ; il le dit trop, au gré de quelques parents. J’ai vu des enfants de sept ans qui n’avaient jamais menti, qui avouaient leur faute avant que leur père l’eût découverte, disant d’un air tremblant : « Je crois, papa, que tu vas me punir ! » Ici, comme en bien des cas, il faut prendre garde d’attribuer à l’hérédité ce qui est simplement l’effet de limitation.

Un sujet que M. Perez a étudié avec une prédilection manifeste, c’est celui des émotions esthétiques, qu’il appelle « les sèves nourricières de la vie civilisée ». — « L’agrément, la beauté, dit-il, excitent, dès les premiers moments de la vie, des impressions qui éveillent les aptitudes, tant physiques que morales et intellectuelles, Ils stimulent de mille façons à agir : ce sont là des impressions qui ne peuvent que favoriser en bien ou en mal le développement de jeune être. » (p. 121.) On pourrait croire, d’après ce début, que l’auteur va multiplier pour l’enfant les occasions qui aviveront son imagination, qui solliciteront l’instinct poétique. Il n’en est rien : l’esthétique de M. Perez n’est autre que la science, la connaissance de la réalité, et son élève, sevré de toute fiction, sera un petit réaliste, un disciple inconscient de M. Zola.

Ce n’est pas le lieu de discuter les définitions générales de M. Perez : « Le sens esthétique est une des formes de la science des réalités, » — « Tout ce qui est utile et vrai est beau. » — « La science est poésie. » Mais comment ne pas protester, au nom des instincts les plus déclarés de l’enfance, contre la suppression des fables et des contes dans l’éducation ? La guerre aux fictions n’est pas nouvelle, il est vrai, dans le monde des pédagogues : on sait avec quelle sophistique impatientante Rousseau critiquait et condamnait les fables de La Fontaine. Kant lui-même (L’est une autorité à ajouter à celle qu’invoque M. Perez), après avoir remarqué que l’imagination des enfants est extrêmement puissante, inclinait à penser qu’elle n’a pas besoin d’être surexcitée par des contes. Mais ces arrêts, dictés par une sorte de superstition scientifique, ne sauraient prévaloir contre la nature des choses. Ni les enfants ne cesseront d’aimer les contes, ni les parents d’en imaginer : et la sensibilité, comme l’imagination de l’enfant, y trouvera son profit. La réalité est bien froide et bien sèche pour des esprits encore tendres et délicats, Quel danger y a-t-il d’ailleurs à les repaitre d’innocentes chimères dont la gentillerie réveille l’esprit » et qui ne résisteront pas longtemps au progrès de la raison ? L’humeur critique s’éveillera bien assez tôt. J’imagine que plus d’un grand savant, connu pour l’exactitude positive de ses idées, a frémi quand il était jeune au récit des aventures de Barbe-Bleue. L’enfant lui-même n’est pas aussi dupe qu’on pourrait croire des