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ainsi dire, les sentiments et les pensées de l’âge mûr ; qu’il faut par conséquent leur interdire toute initiation à des choses sérieuses que leur âge transformerait nécessairement en jeux puérils ou en superstitions grossières. Nous ne sommes pas de cet avis. Comme le disait énergiquement Quinet, « il n’est de solide dans l’homme que ce qui a été mis en germe dans l’enfant. » Pourquoi ne pas suivre dans l’éducation la marche que nous trace la nature elle-même, qui s’élève de l’inconscient au conscient, qui passe de l’instinct à la volonté, par des transitions insensibles, de sorte qu’il semble toujours qu’elle continue et jamais qu’elle commence ?

En ce qui concerne le sentiment religieux, M. Perez nous paraît d’ailleurs trop absolu quand il fait de l’enfant un petit naturaliste, un positiviste en herbe, qui n’aurait aucune tendance à animer, à personnifier, à diviniser les objets antérieurs. Sans parler de l’imagination des enfants toujours prompte dans sa crédulité à admettre et aussi à créer d’elle-même des êtres surnaturels, précisément parce qu’elle ne sait pas faire la différence du possible et de l’impossible, n’est-il pas vrai que l’idée d’un commencement, dune cause première, préoccupe de bonne heure leur raison naissante ? J’ai entendu des enfants de cinq ans, d’une intelligence ordinaire, à qui l’on avait raconté les premières pages du récit mosaïque, demander avec obstination et sans qu’aucune réponse pût les satisfaire : « Avant Dieu, avant Dieu, qu’est-ce qu’il y avait donc ?.…… » S’il était vrai, comme le dit M. Perez, que « le sens religieux n’exsiste pas plus dans l’intelligence du petit enfant que le surnaturel dans la nature », que l’enfant n’a aucune disposition à placer derrière les phénomènes naturels des volontés semblables à la sienne, il resterait à expliquer comment toute religion, et en particulier comment la religion polythéiste, s’est établie dans le monde. Au lieu d’attribuer aux parents seuls et à leur prédication prématurée l’origine du sentiment religieux, ne convient-il pas d’appliquer ici l’excellent principe que M. Perez emprunte un peu plus loin à Mme Necker de Saussure ? « Une multitude d’émotions, de passions, d’impressions diverses, qui, dans un certain sens, peuvent être regardées comme naturelles, sont communiquées à l’enfant par notre entremise ; le germe en existait chez lui sans aucun doute ; pour qu’un mouvement se propage avec une grande facilité, il faut qu’il y ait déjà dans l’âme une disposition à le recevoir. »

Quant aux jeux qui, comme les jeux militaires, « caporalisent l’enfant », selon l’expression de Rigault, ou comme le jeu de la poupée « enniaisent les petites filles », n’est-il pas permis de penser qu’ils ne justifient pas tant de colère et d’indignation, et que sans parler des avantages, peut-être médiocres, qu’en retire l’éducation future, il n’y a pas de motifs suffisants pour priver l’enfant de l’innocent plaisir que lui procurent des soldats de carton et des poupées d’un sou. Ces jeux ont leurs inconvénients sans doute. Mais quel est le jeu qui n’en a pas ? Et d’ailleurs est-il nécessaire de tant moraliser à propos des divertis-